lundi 18 juin 2018

HÖLDERLIN / GERMANIEN / GERMANIE


 Friedrich HÖLDERLIN / GERMANIEN / GERMANIE

(traduction proposée par Patrick Guillot)
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GERMANIE


Non, ceux-ci, les Bienheureux qui sont apparus,
Les images des dieux dans le pays antique,
Je n’ai, oui, plus besoin de les invoquer, mais si,
Ô les fleuves de chez nous ! avec vous à présent
Gémit l’amour du cœur, qu’exige-t-il d’autre,
Le deuil sacré ? Car plein d’espérance repose
Le pays, et tel que par les chaudes journées
C’est très bas aujourd’hui que nous cerne d’ombre,
Ô impatients ! un ciel plein de pressentiments.
Plein de promesses est-il et me semble
Aussi menaçant, mais près de lui je veux demeurer,
Et en arrière mon âme ne doit pas s’enfuir
Vers vous, les révolus ! vous qui m’êtes trop chers.
Car votre si beau visage, de le revoir
Tel qu’il fut autrefois, je le crains, est mortel,
Et à peine est permis d’éveiller les défunts.

Dieux enfuis ! vous aussi, ô vous présents alors
Plus réellement, vous avez eu votre temps !
Je veux ici ne rien nier, ni rien quémander.
Car, lorsque c’en est fini, et le jour éteint,
C’est bien le prêtre le premier frappé, cependant par amour
Le temple et l’icône le suivent aussi, et son culte,
Vers l’obscur pays, et plus rien n’en peut paraître.
Tel que d’un bûcher funèbre ne s’étire alors
Qu’une fumée dorée, la légende, au-dessus,
Et va nous poindre à l’instant un doute en l’esprit,
Et nul ne sait ce qui lui arrive. Il sent
Que les ombres de ceux qui ont été ainsi,
Des Anciens, visitent ainsi à nouveau la terre.
Car ceux qui doivent venir là nous pressent,
Et la troupe sacrée des hommes-dieux ne s’attardera
Plus jamais si longtemps dans le ciel bleu.

Déjà verdoie, oui, en prélude d’un temps plus âpre
Ensemencé pour eux, le champ, est apprêtée l’offrande
Pour le sacrifice, et vallée et fleuve
S’ouvrent largement tout autour des monts prophétiques,
Pour que puisse regarder jusqu’à l’Orient
L’homme, et de là l’émeuvent bien des métamorphoses.
Mais de l’Azur est tombée
La fidèle image et il en pleut de divines paroles
Innombrables, et ça résonne au fond du bois.
Et l’aigle qui vient de l’Indus
Et vole au-dessus des cimes enneigées
Du Parnasse, très au-dessus de ces autels, les collines
D’Italie, sans chercher la proie bonne
Au Père, comme jadis, plus sûr dans son vol,
L’antique, jubilant bondit-il au-dessus
Des Alpes enfin, et voit des pays très divers.

La prêtresse, la plus tranquille enfant du dieu,
Elle, trop volontiers muette en sa profonde candeur,
Elle qu’il cherche, là regardait les yeux grand ouverts,
Comme si elle l’ignorait, il y a peu, une tempête,
Mortelle menace rugissant au-dessus de sa tête ;
Elle pressentait, cette enfant, un mieux,
Et enfin un grand étonnement fut au ciel,
Qu’une grande par la foi, telle qu’elle-même,
La bénissante, soit la puissance des hauteurs ;
Pour cela lui est envoyé ce messager qui, la reconnaissant vite,
En souriant pense ainsi : ô toi, infrangible, il faut
Qu’un autre mot t’éprouve — et s’exclame avec force
L’adolescent, regardant vers la Germanie :
« Tu es cela, élue,
Aimant toutes choses, et c’est un plus lourd bonheur
Que tu dois supporter en devenant forte,

Depuis lors, cachée là dans la forêt, et des pavots en fleur
Emplie du doux sommeil, enivrée, tu ne pris
Pas garde à moi, longtemps, avant même que de moindres ne sentent aussi
La fierté de la vierge et s’étonnent, d’où es-tu, née de qui,
Mais toi-même ne le savais pas. Je ne t’ai pas méconnue,
Et discret, comme tu rêvais, t’ai-je laissé,
Te quittant à midi, un signe d’amitié,
La fleur de la bouche, en retour, et tu parlas toute seule.
Cependant prodiguais-tu aussi abondance de paroles dorées,
Bienheureuse ! avec les fleuves, et jaillissaient-elles inépuisables
Par toutes les contrées. Car, presque telle la sacrée,
Celle qui est la Mère de toutes choses, [et porte l’abîme,]
La Secrète, autrefois nommée par les humains,
Est ainsi aimante et souffrante
Et emplie de pressentiments
Et emplie de paix ta poitrine.

Ô abreuve-toi de brises matinales
Jusqu’à ce que tu sois ouverte,
Et nomme ce qui est devant tes yeux,
Un mystère ne doit pas plus longtemps
Demeurer l’imprononcé,
Après qu’il a été longtemps voilé ;
Car aux mortels convient la pudeur,
Et parler ainsi, la plupart du temps,
Des dieux, est sage aussi.
Mais où est superflu, car les sources plus pures,
L’or, et s’est aggravée la colère au ciel,
Doit entre le jour et la nuit
Une fois paraître une vérité.
Par trois fois tu la transcris,
Pourtant imprononcée, telle qu’elle est là,
Innocente, doit-elle aussi demeurer.

Ô nomme, toi, fille de la terre sacrée,
Une fois la Mère. Ils rugissent, les flots contre les brisants
Et l’orage dans la forêt, et par ce nom même
Y résonne de nouveau depuis les temps anciens le divin passé.
Comme tout est autre ! et brille et parle justement
L’avenir aussi réjoui depuis les lointains.
Pourtant au centre du Temps
Vit calmement avec la Terre
Sacrée virginale l’Azur,
Et volontiers, en souvenir, sont
Les sans-besoins, eux,
Hospitaliers aux sans-besoins,
En tes jours de fête,
Germanie, là où tu es prêtresse
Et sans armes donnant conseil à l’entour
Aux rois et aux peuples. »
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 GERMANIEN
                            GERMANIE

Nicht sie, die Seligen, die erschienen sind,      (1)
    Non, ceux-ci, les Bienheureux qui sont apparus,
Die Götterbilder in dem alten Lande,
    Les images des dieux dans le pays antique,
Sie darf ich ja nicht rufen mehr, wenn aber,
    Je n’ai, oui, plus besoin de les invoquer, mais si,
Ihr heimatlichen Wasser ! jetzt mit euch
    Ô les fleuves de chez nous ! avec vous à présent
Des Herzens Liebe klagt, was will es anders,
    Gémit l’amour du cœur, qu’exige-t-il d’autre,
Das Heiligtrauernde ? Denn  voll Erwartung liegt
    Le deuil sacré ? Car plein d’espérance repose
Das Land und als in heißen Tagen
    Le pays, et tel que par les chaudes journées
Herabgesenkt, umschattet heut,
    C’est très bas aujourd’hui que nous cerne d’ombre
Ihr Sehnenden ! uns ahnungsvoll ein Himmel.
    Ô impatients ! un ciel plein de pressentiments.
Voll ist er von Verheißungen und scheint
    Plein de promesses est-il et me semble
Mir drohend auch, doch will ich bei ihm bleiben,
    Aussi menaçant, mais près de lui je veux demeurer,
Und rückwärts soll die Seele mir nicht fliehn
    Et en arrière mon âme ne doit pas s’enfuir
Zu euch, Vergangene ! die zu lieb mir sind.
    Vers vous, les révolus ! vous qui m’êtes trop chers.
Denn euer schönes Angesicht zu sehn,
    Car votre si beau visage, de le revoir
Als wärs, wie sonst, ich fürcht es, tödlich ists,
    Tel qu’il fut autrefois, je le crains, est mortel,
Und kaum erlaubt, Gestorbene zu wecken.
    Et à peine est permis d’éveiller les défunts.

Entflohene Götter ! Auch ihr, ihr gegenwärtigen, damals      (2)
    Dieux enfuis ! vous aussi, ô vous présents alors
Wahrhaftiger, ihr hattet eure Zeiten !
    Plus réellement, vous avez eu votre temps !
Nichts leugnen will ich hier und nichts erbitten.
    Je veux ici ne rien nier, ni rien quémander.
Denn wenn es aus ist, und der Tag erloschen,
    Car, lorsque c’en est fini, et le jour éteint,
Wohl triffts den Priester erst, doch liebend folgt
    C’est bien le prêtre le premier frappé, cependant par amour
Der Tempel und das Bild ihm auch und seine Sitte
    Le temple et l’icône le suivent aussi, et son culte,
Zum dunkeln Land und keines mag noch scheinen.
    Vers l’obscur pays, et plus rien n’en peut paraître.
Nur als vor Grabesflammen, ziehet dann
    Tel que d’un bûcher funèbre ne s’étire alors
Ein goldner Rauch, die Sage, drob hinüber,
    Qu’une fumée dorée, la légende, au-dessus,
Und dämmert jetzt uns Zweifelnden um das Haupt,
    Et va nous poindre à l’instant un doute en l’esprit,
Und keiner weiß, wie ihm geschieht. Er fühlt
    Et nul ne sait ce qui lui arrive. Il sent
Die Schatten derer, so gewesen sind,
    Que les ombres de ceux qui ont été ainsi,
Die Alten, so die Erde neubesuchen.
    Des Anciens, visitent ainsi à nouveau la terre.
Denn die da kommen sollen, drängen uns,
    Car ceux qui doivent venir là nous pressent,
Und länger säumt von Göttermenschen
    Et la troupe sacrée des hommes-dieux ne s’attardera
Die heilige Schar nicht mehr im blauen Himmel.
    Plus jamais si longtemps dans le ciel bleu.

Schon grünet ja, im Vorspiel rauherer Zeit                  (3)
    Déjà verdoie, oui, en prélude d’un temps plus âpre
Für sie erzogen, das Feld, bereitet ist die Gabe
    Ensemencé pour eux, le champ, est apprêtée l'offrande
Zum Opfermahl und Tal und Ströme sind
    Pour le sacrifice, et vallée et fleuve
Weitoffen um prophetische Berge,
    S’ouvrent largement tout autour des monts prophétiques,
Daß schauen mag bis in den Orient
    Pour que puisse regarder jusqu’à l’Orient
Der Mann und ihn von dort der Wandlungen viele bewegen.
    L’homme, et de là l’émeuvent bien des métamorphoses.
Vom Aether aber fällt
    Mais de l’Azur est tombée
Das treue Bild und Göttersprüche regnen
    La fidèle image et il en pleut de divines paroles
Unzählbare von ihm, und es tönt im innersten Haine.
    Innombrables, et ça résonne au fond du bois.
Und der Adler, der vom Indus kömmt,
    Et l’aigle qui vient de l’Indus
Und über des Parnassos
    Et vole au-dessus des cimes enneigées
Beschneite Gipfel fliegt, hoch über den Opferhügeln
    Du Parnasse, très au-dessus de ces autels, les collines
Italias, und frohe Beute sucht
    D’Italie, sans chercher la proie bonne
Dem Vater, nicht wie sonst, geübter im Fluge
    Au Père, comme jadis, plus sûr dans son vol,
Der Alte, jauchzend überschwingt er
    L’antique, jubilant bondit-il au-dessus
Zuletzt die Alpen und sieht die vielgearteten Länder.
    Des Alpes enfin, et voit des pays très divers.

Die Priesterin, die stillste Tochter Gottes,               (4)
    La prêtresse, la plus tranquille enfant du dieu,
Sie, die zu gern in tiefer Einfalt schweigt,
    Elle, trop volontiers muette en sa profonde candeur,
Sie suchet er, die offnen Auges schaute,
    Elle qu’il cherche, là regardait les yeux grand ouverts,
Als wüßte sie es nicht, jüngst, da ein Sturm
    Comme si elle l’ignorait, il y a peu, une tempête,
Toddrohen über ihrem Haupt ertönte ;
    Mortelle menace rugissant au-dessus de sa tête ;
Es ahnete das Kind ein Besseres,
    Elle pressentait, cette enfant, un mieux,
Und endlich ward ein Staunen weit im Himmel,
    Et enfin un grand étonnement fut au ciel,
Weil Eines groß an Glauben, wie sie selbst,
    Qu’une grande par la foi, telle qu’elle-même,
Die segnende, die Macht der Höhe sei ;
    La bénissante, soit la puissance des hauteurs ;
Drum sandten sie den Boten, der, sie schnell erkennend,
    Pour cela lui est envoyé ce messager qui, la reconnaissant vite,
Denkt lächlend so : Dich, unzerbrechliche, muß
    En souriant pense ainsi : ô toi infrangible, il faut
Ein ander Wort erprüfen und ruft es laut,
    Qu’un autre mot t’éprouve — et s’exclame avec force
Der Jugendliche, nach Germania schauend :
    L’adolescent, regardant vers la Germanie :
"Du bist es, auserwählt,
    « Tu es cela, élue,
Alliebend und ein schweres Glück
    Aimant toutes choses, et c’est un plus lourd bonheur
Bist zu tragen stark geworden,
    Que tu dois supporter en devenant forte,

Seit damals, da im Walde versteckt und blühendem Mohn          (5)
    Depuis lors, cachée là dans la forêt, et des pavots en fleur
Voll süßen Schlummers, trunkene, meiner du
    Emplie du doux sommeil, enivrée, tu ne pris
Nicht achtetest, lang, ehe noch auch geringere fühlten
    Pas garde à moi, longtemps, avant même que de moindres ne sentent aussi
Der Jungfrau Stoltz und stauten, wes du wärst und woher,
    La fierté de la vierge, et s’étonnent, d’où es-tu, née de qui,
Doch du es selbst nich wußtest. Ich mißkannte dich nicht,
    Mais toi-même ne le savais pas. Je ne t’ai pas méconnue,
Und heimlich, da du träumtest, ließ ich
    Et discret, comme tu rêvais, t’ai-je laissé,
Am Mittag scheidend dir ein Freundeszeichen,
    Te quittant à midi, un signe d’amitié,
Die Blume des Mundes zurück und du redetest einsam.
    La fleur de la bouche, en retour, et tu parlas toute seule.
Doch Fülle der goldenen Worte sandtest du auch,
    Cependant prodiguais-tu aussi abondance de paroles dorées,
Glückselige ! mit den Strömen und sie quillen unerschöpflich
    Bienheureuse ! avec les fleuves, et jaillissaient-elles inépuisables
In die Gegenden all. Denn fast, wie der heiligen,
    Par toutes les contrées. Car, presque telle la sacrée,
Die Mutter ist von allem, [und den Abgrund trägt]
    Celle qui est la Mère de toutes choses, [et porte l’abîme],
Die Verborgene sonst gennant von Menschen,
    La Secrète, autrefois nommée par les humains,
So ist von Lieben und Leiden
    Est ainsi aimante et souffrante
Und voll von Ahnungen dir
    Et emplie de pressentiments
Und voll von Frieden der Busen.
    Et emplie de paix ta poitrine.

O trinke Morgenlüfte,                             (6)
    Ô abreuve-toi de brises matinales
Bis daß du offen bist,
    Jusqu’à ce que tu sois ouverte,
Und nenne, was vor Augen dir ist,
    Et nomme ce qui est devant tes yeux,
Nicht länger darf Geheimnis mehr
    Un mystère ne doit pas plus longtemps
Das Ungesprochene bleiben,
    Demeurer l’imprononcé
Nachdem es lange verhüllt ist ;
   Après qu’il a été longtemps voilé ;
Denn Sterblichen geziemet die Scham,
    Car aux mortels convient la pudeur,
Und so zu reden die meiste Zeit,
    Et parler ainsi, la plupart du temps,
Ist weise auch, von Göttern.
    Des dieux, est sage aussi.
Wo aber überflüssiger, denn lautere Quellen,
    Mais où est superflu, car les sources plus pures,
Das Gold und ernst geworden ist der Zorn an den Himmel,
    L’or, et s’est aggravée la colère au ciel,
Muß zwischen Tag und Nacht
    Doit entre le jour et la nuit
Einsmals ein Wahres erscheinen.
    Une fois paraître une vérité.
Dreifach umschreibe du es,
    Par trois fois tu la transcris,
Doch ungesprochen auch, wie es da ist,
    Pourtant imprononcée, telle qu’elle est là,
Unschuldige, muß es bleiben.
    Innocente, doit-elle aussi demeurer.

O nenne, Tochter du der heiligen Erd,           (7)
    Ô nomme, toi, fille de la terre sacrée,
Einmal die Mutter. Es rauschen die Wasser am Fels
    Une fois la Mère. Ils rugissent, les flots contre les brisants
Und Wetter im Wald und bei dem Namen derselben
    Et l’orage dans la forêt, et par ce nom même
Tönt auf aus alter Zeit Vergangengöttliches wieder.
    Y résonne de nouveau depuis les temps anciens le divin passé.
Wie anders ist ! und rechthin glänzt und spricht
    Comme tout est autre ! et brille et parle justement
Zukünftiges auch erfreulich aus den Fernen.
    L’avenir aussi réjoui depuis les lointains.
Doch in der Mitte der Zeit
    Pourtant au centre du Temps
Lebt ruhig mit geweihter
    Vit calmement avec la Terre
Jungfräulicher Erde der Aether
    Sacrée virginale l’Azur,
Und gerne, zur Erinnerung, sind,
    Et volontiers, en souvenir, sont
Die unbedürftigen, sie
    Les sans besoins, eux,
Gastfreundlich bei den unbedürftgen,
    Hospitaliers aux sans besoins,
Bei deinen Feiertagen,
    En tes jours de fête,
Germania, wo du Priesterin bist
    Germanie, là où tu es prêtresse
Und wehrlos Rat gibst rings
    Et sans armes donnant conseil à l’entour
Den Königen und den Völkern."
    Aux rois et aux peuples. »


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