Friedrich HÖLDERLIN / DICHTERBERUF / MÉTIER DU POÈTE
(traduction proposée par Patrick Guillot)
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MÉTIER DU POÈTE
Les rives du Gange entendirent
du dieu de la joie
Le triomphe, alors qu’ayant tout conquis
depuis l’Indus ici
Venait le jeune Bacchus, avec le vin
Sacré du sommeil éveillant les
peuples.
Et toi, ange du jour ! tu ne
les réveillerais pas,
Ceux qui à présent sommeillent encore ?
Donne la loi, donne-
Nous la vie, vainqueur, Maître, toi seul
As droit de conquête, tel Bacchus.
Non ce qui sans doute est
d’ordinaire l’humaine destinée et les soucis
À la maison et sous le ciel ouvert,
Quand plus noblement, donc, que le fauve,
l’homme se
Défend et nourrit ! il s’agit donc
d’une autre chose,
Confiée aux soucis et au
service des poètes !
Le Très-Haut, c’est cela, ce à quoi nous
sommes voués,
Que plus proche, à le glorifier toujours
à neuf,
Perçoit la poitrine amicale.
Et pourtant, ô vous tous les
célestes, et toutes
Les sources et vous, rivages et bosquets et
hauteurs,
Où dès l’abord prodigieux, alors que tu
Empoignais les boucles, et inoubliable
L’imprévisible génie au-dessus
de nous
Le créatif, divinement venait, que muets
Nous devinrent les sens et, tel que
Touchés par l’éclair, frissonnèrent
les os,
Vous, actes sans trêve dans le
vaste monde !
Vous, jours du destin, vous, arrachant,
quand le dieu
Calmement pensif en dispose, jusqu’où
ivres de colère
Le portent les gigantesques cavales,
Sur vous devrions-nous garder
silence, et si en nous
De l’année constamment calme résonnait
l’harmonie,
Ainsi devrait-elle retentir comme s’il
avait,
Vaillant et désœuvré, un enfant, du
Maître
Touché la lyre consacrée et
pure, par plaisanterie ?
Et pour quoi aurais-tu, poète ! écouté les
prophètes
De
l’Orient et le chant grec et
Depuis peu le tonnerre, pour qu’enfin
tu
Aies besoin d’asservir
l’esprit, et brusques
Les biens de la présence, par moquerie, et
désavoues
Ces inepties, sans cœur, et pour jouer
Le livres, tel un fauve captif, au
négoce ?
Jusqu’à ce qu’irrité par le
dard en fureur il
Se souvienne de l’origine et crie, que
lui-même
Le Maître vienne, puis sous les brûlantes
Flèches de la mort te laisse inanimé.
Depuis trop longtemps déjà est
asservi tout le divin
Et toutes les forces célestes gâchées, use
Les bienfaisantes, pour le plaisir,
ingrate, une
Race retorse, et s’imagine-t-elle
connaître,
Quand pour elle le Sublime
laboure le champ,
La lumière du jour et le Tonnant, et les
observe
Bien le télescope, eux tous, et recense
et
Appelle par leurs noms les étoiles du
ciel.
Le Père cependant couvre avec
la nuit sacrée,
Afin que nous puissions demeurer, les yeux.
Il
n’aime pas la brutalité ! Pourtant ne contraint-elle
Jamais, la vaste violence, ce ciel.
Encore est-ce aussi bon d’être
trop sage. Le connaît
La gratitude. Pourtant ne peut-il facilement
le retenir seul,
Et volontiers se joint-il, afin qu’ils
l’aident
À comprendre, aux autres, un poète.
Sans crainte demeure
cependant, ainsi qu’il le doit, l’homme
Solitaire devant Dieu, le protège la
candeur,
Et d’aucune arme n’use-t-il et d’aucun
Artifice, aussi longtemps que l’aide
le manque de dieu.
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DICHTERBERUF
METIER DU POETE
Des Ganges
Ufer hörten des Freudengotts METIER DU POETE
Les rives du Gange entendirent du dieu de la joie
Triumph, als allerobernd vom Indus her
Le triomphe, alors qu’ayant tout conquis depuis l’Indus ici
Der junge Bacchus kam, mit heilgem
Venait le jeune Bacchus, avec le vin
Weine vom Schlafe die Völker weckend.
Sacré du sommeil éveillant les peuples.
Und du, des Tages Engel ! erweckst sie nicht,
Et toi, ange du jour ! tu ne les réveillerais pas,
Die jetzt noch schlafen ? gib die Gesetze, gib
Ceux qui à présent sommeillent encore ? Donne la loi, donne-
Uns Leben, siege, Meister, du nur
Nous la vie, vainqueur, Maître, toi seul
Hast der Eroberung Recht, wie Bacchus.
As droit de conquête, tel Bacchus.
Nicht, was wohl sonst des Menschen Geschick und Sorg
Non ce qui sans doute est d’ordinaire l’humaine destinée et les soucis
Im Haus und unter offenem Himmel ist,
À la maison et sous le ciel ouvert,
Wenn edler, denn das Wild, der Mann sich
Quand plus noblement, donc, que le fauve, l’homme se
Wehret und nährt ! denn es gilt ein anders,
Défend et nourrit ! il s’agit donc d’une autre chose,
Zu Sorg und Dienst den Dichtenden anvertraut !
Confiée aux soucis et au service des poètes !
Der Höchste, der ists, dem wir geeignet sind,
Le Très-Haut, c’est cela, ce à quoi nous sommes voués,
Daß näher, immerneu besungen
Que plus proche, à le glorifier toujours à neuf,
Ihn die befreundete Brust vernehme.
Perçoit la poitrine amicale.
Und dennoch, o ihr Himmlischen all, und all
Et pourtant, ô vous tous les célestes, et toutes
Ihr Quellen und ihr Ufer und Hain’ und Höhn,
Les sources et vous, rivages et bosquets et hauteurs,
Wo wunderbar zuerst, als du die
Où dès l’abord prodigieux, alors que tu
Locken ergriffen, und unvergeßlich
Empoignais les boucles, et inoubliable
Der unverhoffte Genius über uns
L’imprévisible génie au-dessus de nous
Der schöpferische, göttliche kam, daß stumm
Le créatif, divinement venait, que muets
Der Sinn uns ward und, wie vom
Nous devinrent les sens et, tel que
Strahle gerührt, das Gebein erbebte,
Touchés par l’éclair, frissonnèrent les os,
Ihr ruhelosen Taten in weiter Welt !
Vous, actes sans trêve dans le vaste monde !
Ihr Schicksalstag’, ihr reißenden, wenn der Gott
Vous, jours du destin, vous, arrachant, quand le dieu
Stillsinnend lenkt, wohin zorntrunken
Calmement pensif en dispose, jusqu’où ivres de colère
Ihn die gigantischen Rosse bringen,
Le portent les gigantesques cavales,
Euch sollten wir verschweigen, und wenn in uns
Sur vous devrions-nous garder silence, et si en nous
Vom stetigstillen Jahre der Wohllaut tönt,
De l’année constamment calme résonnait l’harmonie,
So sollt es klingen, gleich als hätte
Ainsi devrait-elle retentir comme s’il avait,
Mutig und müßig ein Kind des Meisters
Vaillant et désœuvré, un enfant, du Maître
Geweihte, reine Saiten im Scherz gerührt ?
Touché la lyre consacrée et pure, par plaisanterie ?
Und darum hast du, Dichter ! des Orients
Et pour quoi aurais-tu, poète ! écouté les prophètes
Propheten und den Griechensang und
De l’Orient et le chant grec et
Neulich die Donner gehört, damit du
Depuis peu le tonnerre, pour qu'enfin tu
Den Geist zu Diensten brauchst und die Gegenwart
Aies besoin d’asservir l’esprit, et brusques
Des Guten übereilest, in Spott, und den Albernen
Les biens de la présence, par moquerie, et désavoues
Verleugnest, herzlos, und zum Spiele
Ces inepties, sans cœur, et pour jouer
Feil, wie gefangenes Wild, ihn treibest ?
Le livres, tel un fauve captif, au négoce ?
Bis aufgereizt vom Stachel im Grimme der
Jusqu’à ce qu’irrité par le dard en fureur il
Des Ursprungs sich erinnert und ruft, daß selbst
Se souvienne de l’origine et crie, que lui-même
Der Meister kommt, dann unter heißen
Le Maître vienne, puis sous les brûlantes
Todesgeschossen entseelt dich lässet.
Flèches de la mort te laisse inanimé.
Zu lang ist alles Göttliche dienstbar schon
Depuis trop longtemps déjà est asservi tout le divin
Und alle Himmelskräfte verscherzt, verbraucht
Et toutes les forces célestes gâchées, use
Die Gütigen, zur Lust, danklos, ein
Les bienfaisantes, pour le plaisir, ingrate, une
Schlaues Geschlecht und zu kennen wähnt es,
Race retorse, et s’imagine-t-elle connaître,
Wenn ihnen der Erhabne den Acker baut,
Quand pour elle le Sublime laboure le champ,
Das Tagslicht und der Donnerer, und es späht
La lumière du jour et le Tonnant, et les observe
Das Sehrohr wohl sie all und zählt und
Bien le télescope, eux tous, et recense et
Nennet mit Namen des Himmels Sterne.
Appelle par leurs noms les étoiles du ciel.
Der Vater aber decket mit heilger Nacht,
Le Père cependant couvre avec la nuit sacrée,
Damit wir bleiben mögen, die Augen zu.
Afin que nous puissions demeurer, les yeux.
Nicht liebt er Wildes ! Doch es zwinget
Il n’aime pas la brutalité ! Pourtant ne contraint-elle
Nimmer die weite Gewalt den Himmel.
Jamais, la vaste violence, ce ciel.
Noch ists auch gut, zu weise zu sein. Ihn kennt
Encore est-ce aussi bon d’être trop sage. Le connaît
Der Dank. Doch nicht behält er es leicht allein,
La gratitude. Pourtant ne peut-il facilement le retenir seul,
Und gern gesellt, damit verstehn sie
Et volontiers se joint-il, afin qu’ils l’aident
Helfen, zu anderen sich ein Dichter.
À comprendre, aux autres, un poète.
Furchtlos bleibt aber, so er es muß, der Mann
Sans crainte demeure cependant, ainsi qu’il le doit, l’homme
Einsam vor Gott, es schützet die Einfalt ihn,
Solitaire devant Dieu, le protège la candeur,
Und keiner Waffen brauchts und keiner
Et d’aucune arme n’use-t-il et d’aucun
Listen, so lange, bis Gottes Fehl hilft.
Artifice, aussi longtemps que l’aide le manque de dieu.
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