lundi 30 mai 2016

UN CONTE VÉRIDIQUE


UN CONTE VÉRIDIQUE

 
Il était un petit garçon, qui une fois – et la première fois pour lui – se trouva face à une croisée des chemins.
Il ne savait pas, d’ailleurs, que « croisée des chemins » pouvait être le nom donné par ailleurs à ce genre d’endroit ; d’ailleurs, il voyait bien que, en cet endroit, ces deux chemins ne se croisaient pas à proprement parler, mais plus exactement se rejoignaient, ici, devant lui.
S’y rejoignaient-ils, ou bien en partaient-ils ? se demandait-il.
(Car il était de ce genre de garçon qui se pose toujours des questions à propos de tout, et parfois de rien ; et, depuis trop longtemps n’ayant personne à son côté pour  répondre, il avait fini par prendre goût à la recherche personnelle des réponses.)
Alors, ces deux chemins, l’un partant vers sa droite et l’autre de son côté gauche ? « Ces deux chemins, à cet endroit,  se rejoignent-ils ? Ou bien en partent-ils, de cet endroit ? »
Mais, en vérité, cela est proprement indécidable ! décida-t-il. En effet, ici, toute décision dépendra du point d’où j’ai vue. (Car il était de ce genre de garçons qui se montrent assez précoces quand il s’agit de raisonner.)

En fait, il se trouvait là où l’avait mené une longue marche sur cette route toute droite – et si longue qu’il avait oublié qui l’y avait déposé, sans doute après que ses parents aient disparu ?
C’est à plusieurs reprises qu’une voix était venue de quelque part du ciel (une part qu’il n’avait pas le moyen de géolocaliser), pour prétendre que père et mère l’avaient abandonné dans une poubelle, ou bien qu’ils étaient morts du typhus. Mais, rebuté par ces affirmations contradictoires, et de toute façon contraint de se rendre à l’évidence que, sans la plus petite preuve scientifique relative à ce point d’histoire, il lui serait à tout jamais impossible d’obtenir une réponse incontestable, il ne s’en souciait plus depuis longtemps.

Ainsi, il est juste de dire que cette route droite, et d’ailleurs également plate, était à ce jour la seule qu’il ait jamais connue, d’autant plus qu’aucun des paysages traversés, la bordant de part et d’autre sans discontinuer, ne pouvaient engager le petit garçon à s’en détourner, même pour un instant : déserts de pierres aux arêtes vives, épais fouillis de ronces écorcheuses, obscurité de monstrueuses futaies, impénétrable au regard même en plein midi… Non, rien pour donner envie de la moindre déambulation un peu curieuse hors de cette route ; nulle ouverture pour seulement suggérer la possibilité d’une brève récréation…
Aussi, cette croisée des chemins le défiait-elle.



Cependant, à première vue… cette première vue ne lui offrait rigoureusement aucun moyen de discerner ne serait-ce qu’un aspect, un seul, permettant de différencier les deux voies – mis à part que, devant lui, l’une allait à droite, et l’autre à gauche. Il avait beau cligner des yeux, et tant et plus : de part et d’autre, au-delà d’une plaine qui semblait parfaitement plane et déserte, les lointains lui paraissaient également lointains ; de chaque côté l’horizon semblait identique, de chaque côté identiquement rectiligne, sans épaisseur, et absolument… horizontal.
Mais, comme il était de ces garçons, petits et grands, qui se vantent d’être les plus fins observateurs de tout ce qui leur passe devant les yeux (qu’ils n’ont pas dans leurs poches, de toute façon), c’est par expérience qu’il savait déjà que, de toute façon, un horizon tel que découvert ici ne permet jamais de préjuger de ce que sera l’horizon à découvrir depuis là-bas… à l’horizon…


Bref, il fallait s’en remettre à lancer les dés.
Mais il n’avait pas de dés.
Pourtant il allait devoir faire un choix.
Qu’il s’avère que, par hasard sans doute, ce soit le bon choix, vous le verrez en suivant tous les épisodes jusqu'au dernier – quand notre héros pourra se dire, enfin, qu’il ne s’en fallait que d’un cheveu, vraiment, qu’il ne se soit trompé, à l’endroit fatidique.
Mais, je déteste qu'on me raconte une histoire en anticipant sur le final de son dernier acte !
...
Mais c’est un fait, que c’est une histoire de cheveu. Donc, un cheveu, qu’il avait sur la langue. Non pas au sens figuré – il articulait tout à fait convenablement, quand il s’en donnait la peine. Non, c’était un cheveu, sur sa langue, au sens propre … Quoique, sur la langue, un cheveu ne fasse pas bien propre…
Bref, dans la grande solitude à laquelle il était depuis si longtemps contraint, ce ne pouvait être, évidemment, qu’un de ses cheveux, qui lui agaçait le bout de la langue – ce dont il s’assura, quand il réussit enfin à l’en délivrer. Non, ce n’était pas une plume légère, ni même un brin de duvet : ce n’était rien d’autre qu’un de ses cheveux, qu’il tenait devant ses yeux pour l’observer –  quand il le vit soudain lui échapper !
Emporté par la brise – vers sa droite.
Ainsi soit-il : il suivrait le chemin partant à main droite.
Donc, le petit garçon allait toujours suivant ce cheveu, qui voletait assez étrangement, en gardant toujours ses distances, les mêmes : trop grandes pour qu’il puisse s’en ressaisir, mais pas si grandes qu’il le perde de vue.
Ce cheveu n’était-il pas là comme son ange gardien ? Mais alors, l’ange gardien d’un petit diable ? Car, tout de même, il se souvenait, quoique assez vaguement pour ce qui touchait aux détails, que, globalement, il n’avait peut-être pas été un petit garçon toujours bien sage…

Quoiqu’il en soit, bien lui en avait pris, de prendre ce chemin-là plutôt que l’autre.
En effet, après être parvenu, d’abord, à cet horizon quasi abstrait, tel qu’entrevu depuis cette croisée des chemins, ce fut une toute autre contrée qui s’offrit à sa vue, à son espoir…
Escarpée, mais lumineuse.
Certes, au travers d’un relief si accidenté, ce chemin là était beaucoup plus sinueux… Mais sous un ciel d’un bleu si pur !
Et puis, là, après tant de virages inquiétants, et d’ascensions de pentes souvent abruptes, et de descentes au fond de gouffres parfois vertigineux, il rencontra son amour.





jeudi 26 mai 2016

LE 17 AVRIL 1891


ICI, LE 17 AVRIL 1891, IL NE SE PASSA STRICTEMENT RIEN


Ce n’est pas moi qui le dis.
(D’ailleurs, ici, là où je suis en ce moment même, le 26 mai 2016, je n’en sais rien, de ce qui s’y passa le 17 avril 1891.)
Non, cette assertion péremptoire, je l’ai trouvée là… je veux dire ici, dans cette petite rue de cette petite ville, où chacun et chacune qui y passera pourra encore la découvrir (je crois), sur cette plaque émaillée fixée sur la façade de cette maison.
Au passage, j’en apprécie la typographie (l’usage des majuscules, dans différentes tailles, et d’un Bodoni ?) ; et sa lecture me fait sourire…
Je suppose qu’elle est justement, ici, pour ça : moquer, gentiment, subtilement, subliminalement, tous ces affichages urbains destinés à nous faire savoir, ou souvenir, qu’en tel endroit à telle date, il se passa quelque chose

Mais, ici, à cet endroit-là précisément de cette petite ville du département du Tarn, où je déambule en cet après-midi du 17 mai 2016, il ne se passa rien – me dit-on – le 17 avril 1891.
Rien : pas de guerre déclarée ni de paix signée ; nulle émeute sanglante ; aucun massacre d’otages… On se doute que, si Jeanne d’Arc avait séjourné dans la région, ce n’aurait pas été en cette fin du 19ème siècle, mais 1891, c’est aussi trop tardif pour une éventuelle visite de Victor Hugo – par exemple.
Il faut que cela soit bien clair : ici, le 17 avril de l’année 1891, il ne se passa strictement rien.
Rien de rien : aucun personnage, d’envergure internationale ou simplement locale, ou de quelque renommée qui l’ait rendu un tant soit peu mémorable dans le monde ou dans son village, n’est passé par ici pour y faire quoique ce soit, en gestes ou en paroles.
Aucun personnage, solitaire ou même accompagné, ni aucun groupe plus ou moins organisé, n’est venu ICI, ce jour-là, pour y accomplir tel grand exploit utile à la communauté, ou bien même tel grand forfait qui l’aurait bouleversée, la communauté – un temps.
Aucun politicien, aucun savant, nul général de quelque chose, nul empereur exotique, pas de mathématicien génial mais fou, ni de musicien fou mais génial…
Pas d’événements à signaler non plus, donc, ni du genre historique, ni du genre anecdotique : pas de réunion fondatrice de la première association pour la défense du patrimoine local, pas d’assemblée politique ou syndicale… Aucune fondation de la plus misérable petite secte…
Pas même le plus petit meurtre entre amis – ou en famille.


Au sourire, provoqué par la lecture de l’intrigante assertion, succéda une profonde réflexion : en plus d’être possiblement amusante, était-elle aussi vraie ?
Une assertion vraie ? Comment le démontrer ?
En admettant même que cet ICI n’y désigne que la maison (et non aussi une étendue indéterminée de la rue devant cette maison), puisque le temps de la constatation scientifique semble en ce cas révolu, quel raisonnement mathématique peut nous persuader qu’ici, en ce désormais fameux 17 avril 1891, dans cette maison-là, il ne s’y passa rien, à strictement parler ?





Ps : Recherche étant faite par acquit de conscience, il apparaît que :
a ) pour la date du 17 avril 1891, wikipédia ne signale aucun événement, nulle part ;
b ) une telle plaque émaillée peut être acquise, pour la modique somme de 25 euros et 69 centimes, par n’importe quelle personne, privée ou publique, qui pourra alors la fixer au vu de tous, selon ses droits propres ; celle que j’ai découverte pour mon propre compte, le 17 mai 2016, à Lautrec (Tarn), en est seulement un exemplaire parmi d’autres.

A signaler : c’est tous les ‘15 août’ (je crois), qu’une Fête du Pain a lieu à Lautrec, ce qui (je suppose) explique la gerbe de blé que l’on voit ici sur la porte, à côté de la plaque commémorative de ce Rien insigne.