lundi 18 juin 2018

HÖLDERLIN / DER ISTER / L’ISTER


 Friedrich HÖLDERLIN / DER ISTER / L’ISTER


(traduction proposée par Patrick Guillot)

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L’ISTER
 

À présent viens, feu !
Avides sommes-nous
De contempler le jour,
Et quand l’épreuve
Est passée au travers des genoux,
Peut-on percevoir les clameurs de la forêt.
Mais nous chantons, depuis l’Indus
Venus de loin et
Depuis l’Alphée, longtemps avons-nous
Cherché le convenable,
Nul, sans ailes, ne peut
Atteindre le plus proche
Directement
Et passer de l’autre côté.
Mais ici voulons-nous bâtir.
Car les fleuves défrichent
Le pays. Quand en effet pousse l’herbe
Et que vers ceux-là même vont
En été, pour boire, les bêtes,
Alors y vont aussi les humains.
Mais on nomme celui-ci l’Ister.
C’est beau, comme il habite. Ils brûlent, les feuillages des colonnes,
Et s’agitent. Sauvages se dressent-ils
Disposés l’un au-dessous de l’autre ; par-dessus
Un second degré va saillir au devant
Des rochers le toit. Ainsi ne me surprend
Pas qu’il eût prié
Hercule d’être son hôte,
En scintillant au loin, au pied de l’Olympe,
Comme lui, pour se chercher un ombrage,
Venait de l’Isthme brûlant,
Car plein de courage étaient-ils
Là même, mais il est besoin, aux esprits égarés,
De fraîcheur aussi. C’est pourquoi celui-ci préféra filer
Auprès des sources ici, et des rives jaunies,
Fort embaumant là-haut, et, noir
De la forêt de pins, là où tout au fond
Un chasseur volontiers chemine avec plaisir
À midi, et la croissance est audible
Auprès des arbres résineux de l’Ister,
Mais lui semble presque
Aller à reculons, et
J’ai l’idée qu’il doit venir
De l’Orient.
Beaucoup serait
À dire là-dessus. Et pourquoi s’accroche-t-il
Aux montagnes justement ? L’autre,
Le Rhin, de côté
S’est éloigné. Ce n’est pas en vain que
Dans l’aride vont les fleuves. Mais comment ? Il faut un signe,
Rien d’autre, tant bien que mal, afin que soleil
Et lune, il les porte intimement, inséparables,
Et continue aussi jour et nuit, et
Que les Célestes se tiennent chaud les uns les autres.
C’est pourquoi ceux-là sont aussi
La joie du Très-Haut. Car, comment viendrait-il
En bas ? Et verdoyants comme Hertha
Sont les enfants du ciel. Mais bien trop patients
Me semblent-ils, non
Libres, et presque à moquer. En effet, quand
Doit s’allumer le jour
Dans la jeunesse, là où il commence
À croître, en pousse un autre comme
Déjà haute est la splendeur, et tel un poulain
Qui écume dans la bride, et au loin entendant
La poussée des vents,
Est-il chagriné ;
Mais il faut des morsures à la roche
Et des sillons à la terre,
Inhospitalière serait-elle, sans séjour ;
Mais ce que fait celui-ci, le fleuve,
Nul ne sait.
 
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DER ISTER
                         L’ISTER
Jetzt komme, Feuer !
    À présent viens, feu !
Begierig sind wir,
    Avides sommes-nous
Zu schauen den Tag,
    De contempler le jour,
Und wenn die Prüfung
    Et quand l’épreuve
Ist durch die Knie gegangen,
    Est passée au travers des genoux,
Mag einer spüren das Waldgeschrei.
    Peut-on percevoir les clameurs de la forêt.
Wir singen aber vom Indus her
    Mais nous chantons, depuis l’Indus
Fernangekommen und
    Venus de loin et
Vom Alpheus, lange haben
    Depuis l’Alphée, longtemps avons-nous
Das Schickliche wir gesucht,
    Cherché le convenable,
Nicht ohne Schwingen mag
    Nul, sans ailes, ne peut
Zum Nächsten einer greifen
    Atteindre le plus proche
Geradezu
    Directement
Und kommen auf die andere Seite.
    Et passer de l’autre côté.
Hier aber wollen wir bauen.
    Mais ici voulons-nous bâtir.
Denn Ströme machen urbar
    Car les fleuves défrichent
Das Land. Wenn nämlich Kräuter wachsen
    Le pays. Quand en effet pousse l’herbe
Und an denselben gehn
    Et que vers ceux-là même vont
In Sommer zu trinken die Tiere,
    En été, pour boire, les bêtes,
So gehn auch Menschen daran.
    Alors y vont aussi les humains.
Man nennet aber diesen den Ister.
    Mais on nomme celui-ci l’Ister.
Schön wohnt er. Es brennet der Säulen Laub,
    C’est beau, comme il habite. Ils brûlent, les feuillages des colonnes,
Und reget sich. Wild stehn
    Et s’agitent. Sauvages se dressent-ils
Sie aufgerichtet, untereinander ; darob
    Disposés l’un au-dessous de l’autre ; par-dessus
Ein zweites Maß, springt vor
    Un second degré va saillir au devant
Von Felsen das Dach. So wundert
    Des rochers le toit. Aussi ne me surprend
Mich nicht, daß er
    Pas qu’il eût prié
Den Herkules zu Gaste geladen,
    Hercule d’être son hôte,
Ferglänzend, am Olympos drunten,
    En scintillant au loin, au pied de l’Olympe,
Da der, sich Schatten zu suchen
    Comme lui, pour se chercher un ombrage,
Vom heißen Isthmos kam,
    Venait de l’Isthme brûlant,
Denn voll des Mutes waren
    Car plein de courage étaient-ils
Daselbst sie, es bedarf aber, der Geister wegen,
    Là même, mais il est besoin, aux esprits égarés,
Der Kühlung auch. Darum zog jener lieber
    De fraîcheur aussi. C’est pourquoi celui-ci préféra filer
An die Wasserquellen hieher und gelben Ufer,
    Auprès des sources ici, et des rives jaunies,
Hoch duftend oben, und schwarz
    Fort embaumant là-haut, et, noir
Vom Fichtenwald, wo in den Tiefen
    De la forêt de pins, là où tout au fond
Ein Jäger gern lustwandelt
    Un chasseur volontiers chemine avec plaisir
Mittags, und Wachstum hörbar ist
    À midi, et la croissance est audible
An harzigen Bäumen des Isters,
    Auprès des arbres résineux de l’Ister,
Der scheinet aber fast
    Mais lui semble presque
Rückwärts zu gehen und
    Aller à reculons, et
Ich mein, er müsse kommen
    J’ai l’idée qu’il doit venir
Von Osten.
    De l’Orient.
Vieles wäre
    Beaucoup serait
Zu sagen davon. Und warum hängt er
    À dire là-dessus. Et pourquoi s’accroche-t-il
An den Bergen gerad ? Der andre,
    Aux montagnes justement ? L’autre,
Der Rhein, ist seitwärts
    Le Rhin, de côté
Hinweggegangen. Umsonst nicht gehn
    S’est éloigné. Ce n’est pas en vain que
Im Trocknen die Ströme. Aber wie ? Ein Zeichen braucht es,
    Dans l’aride vont les fleuves. Mais comment ? Il faut un signe,
Nichts anderes, schlecht und recht, damit es Sonn
    Rien d’autre, tant bien que mal, afin que soleil
Und Mond trag im Gemüt, untrennbar,
    Et lune, il les porte intimement, inséparables,
Und fortgeh, Tag und Nacht auch, und
    Et continue aussi jour et nuit, et
Die Himmlischen warm sich fühlen aneinander.
    Que les Célestes se tiennent chaud les uns les autres.
Darum sind jene auch
    C’est pourquoi ceux-là sont aussi
Die Freude des Höchsten. Denn wie käm er
    La joie du Très-Haut. Car, comment viendrait-il
Herunter ? Und wie Hertha grün,
    En bas ? Et verdoyants comme Hertha
Sind sie die Kinder des Himmels. Aber allzugedultig
    Sont les enfants du ciel. Mais bien trop patients
Scheint der mir, nicht
    Me semblent-ils, non
Freier, und fast zu spotten. Nämlich wenn
    Libres, et presque à moquer. En effet, quand
Angehen soll der Tag
    Doit s’allumer le jour
In der Jugend, wo er zu wachsen
    Dans la jeunesse, là où il commence
Anfängt, es treibet ein anderer da
    À croître, en pousse un autre comme
Hoch schon die Pracht, und Füllen gleich
    Déjà haute est la splendeur, et tel un poulain
In den Zaum knirscht er, und weithin hören
    Qui écume dans la bride, et au loin entendant
Das Treiben die Lüfte,
    La poussée des vents,
Ist der zufrieden ;
    Est-il chagriné ;
Es brauchet aber Stiche der Fels
    Mais il faut des morsures à la roche
Und Furchen die Erd,
    Et des sillons à la terre,
Unwirtbar wär es, ohne Weile ;
    Inhospitalière serait-elle, sans séjour ;
Was aber jener tuet, der Strom,
    Mais ce que fait celui-ci, le fleuve,
Weiß niemand.
    Nul ne sait.

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