mercredi 20 juin 2018

HÖLDERLIN : GEDICHTE / POÈMES


Friedrich HÖLDERLIN :  GEDICHTE / POÈMES 

VINGT QUATRE TRADUCTIONS

(proposées par Patrick Guillot)


à Francis Esquier

ami de très longue date, premier lecteur de ces propositions de traductions, et qui m’éclaira sur le sens de ma propre démarche…


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2  STUTTGART












8  TIMIDITÉ




10  EMPEDOCLE




12  PATMOS






15  GERMANIE


16  LE RHIN


17  L’ISTER








21  SOUVENIR







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En guise de préface, le mercredi 20 juin 2018 :

   


Poésie n’est pas ‘jeu de mots’.

Quant à la traduction, sa défaillance est à jamais sa vérité.


*


Je relis la Méditation préliminaire du cours que Martin Heidegger a consacré à l’hymne Germanie :


    « La configuration rythmique du dire (cet élan originel toujours primordial au choix des mots, à leur répartition, à leur emplacement) est déterminée par le ton fondamental, qui crée sa propre forme dans l’esquisse intérieure de sa totalité. Et ce ton fondamental provient du lieu métaphysique propre à chaque poésie particulière. »


Ai-je toujours été orienté vers ce lieu, à chaque fois que j’ai décidé ici du choix des mots -  des mots français disposés selon, c’est-à-dire parfois contre, les principes de la syntaxe française ? 



                                                             *
 

Le dernier mot au poète, Hölderlin, qui avait prévu de faire précéder l’hymne Fête de la paix de cet avertissement au lecteur :


« Je vous prie de ne lire ces feuilles qu’avec bonté. Ainsi ne seront-elles pas incompréhensibles, encore moins malsonnantes. Mais s’il se trouve pourtant quelqu’un qui juge cette langue trop peu conventionnelle, alors je devrais bien lui avouer que je ne peux rien faire d’autre.
Par une belle journée se laissent entendre presque toutes sortes de manières de chanter, et la Nature, d’où elles proviennent, les reprend aussi. »







HÖLDERLIN / BROT UND WEIN / PAIN ET VIN


 Friedrich HÖLDERLIN /   BROT UND WEIN  /  PAIN ET VIN

 (traduction proposée par Patrick Guillot)

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 PAIN ET VIN

à Heinze 
I

À l’entour se repose la ville ; se calme la rue illuminée, 
     Et, parées de torches, bruissent les voitures en passant. 
Chez eux rassasiés des joies du jour sont allés se reposer les hommes, 
     Et le gain et la perte, les mesure une tête pensive 
Dans la quiétude du logis ; vide de grappes et de fleurs 
     Et de l’ouvrage des mains, se repose le marché affairé. 
Mais un luth résonne au loin dans les jardins ; peut-être 
     Là-bas joue un amant, ou un homme solitaire 
D’amis lointains se souvenant, et de la jeunesse ; et les fontaines 
     Intarissables et fraîches bruissent dans les parterres embaumés. 
Calme dans l’air assombri résonne le carillon des cloches, 
     Et se souvenant de l’heure un veilleur en crie le nombre. 
À l’instant se lève aussi une brise et s’agite la cime des arbres, 
     Vois ! et le fantôme de notre terre, la lune, 
Aussi se lève en secret à présent ; l’exaltée, la nuit vient 
     Emplie d’étoiles et bien peu soucieuse de nous, 
Brille l’étonnante là-bas, l’étrangère parmi les hommes, 
     Par-dessus l’arête des monts passant triste et splendide.


II

Merveilleuse est la faveur de la sublime et personne 
     Ne sait depuis quand, ni ce qui en provient. 
Ainsi meut-elle le monde et l’âme espérante des hommes, 
     Aucun sage même ne comprend comment elle en dispose, car ainsi 
Le veut le dieu suprême qui t’aime tant, et c’est pourquoi 
     Tu lui préfères encore le jour pondéré. 
Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre 
     Et cherche pour le plaisir, avant qu’il en soit besoin, le sommeil, 
Ou bien regarde-t-il volontiers, un homme fidèle, loin dans la nuit, 
     Oui, pour l’honorer vos couronnes lui conviennent, et les chants, 
Car aux égarés est-elle consacrée, et aux morts, 
     Mais elle-même gardée, éternellement, dans le plus libre esprit. 
Mais elle nous doit aussi qu’en cette heure indécise, 
     Qu’en cette obscurité nous soit quelque assurance, 
Que l’oubli et l’ivresse sacrée nous soient versés, 
     Versé le verbe torrentiel qui, tels les amants, soit 
Insomnieux, et couple plus pleine et vie plus audacieuse, 
     Mémoire sacrée aussi, pour demeurer éveillé dans la nuit.


III

Aussi renfermons-nous en vain le cœur dans la poitrine, rien qu’en vain 
     Retenons-nous encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc 
Pourrait l’entraver et qui pourrait nous interdire la joie ? 
     Le feu divin aussi s’efforce, de jour et de nuit, 
À l’embrasement. Viens donc ! que nous contemplions l’ouvert, 
     Que nous cherchions notre bien propre, si éloigné soit-il aussi. 
Assurée demeure une chose ; qu’il soit midi ou qu’on avance 
     Vers la mi-nuit, toujours est gardée une mesure, 
Commune à tous, bien qu’à chacun soit aussi accordé en propre 
     Ce vers quoi s’avance et va chacun, jusqu’où il peut. 
Allons ! et volontiers se moque des moqueurs le délire exultant, 
     Quand par la nuit sacrée soudain il empoigne les chanteurs. 
Allons, viens à l’Isthme ! là-bas au loin, où la pleine mer rugit 
     Contre le Parnasse et la neige étincelle autour de la roche delphique, 
Là-bas au pays de l’Olympe, là-bas sur les hauteurs du Kithéron, 
     Sous les pins là-bas, sous les grappes, d’où 
Monte la rumeur de Thèbes et rugit l’Ismène au pays de Cadmos, 
     De là-bas est venu et revient présager le dieu à venir.


IV

Bienheureuse Grèce ! toi la maison de tous les Célestes, 
     Ainsi est vrai ce qu’une fois nous entendîmes dans notre enfance ? 
Salle des Fêtes ! le sol est la mer ! et tables les monts, 
     Vraiment pour ces seules solennités anciennement édifiés ! 
Mais les trônes, où ? les temples, et où les coupes, 
     Où remplies de nectar, pour le plaisir des dieux les chants ? 
Où, où donc éclaire-t-il, l’oracle foudroyant les lointains ? 
     Delphes somnole et où retentit le grand destin ? 
Où est le prompt ? où perce-t-il, plein du bonheur partout présent, 
     Tonnant dans l’air plus serein au-dessus des regards levés ? 
Azur ! ô Père ! cela montait et volait ainsi de bouche en bouche 
     Mille fois, il n’était personne pour supporter seul la vie ; 
De partager un tel bien réjouissait, et échanger, avec l’étranger, 
     Était une jubilation, elle croissait en dormant, la force du mot : 
Père ! sérénissime ! Et retentissait, de si loin qu’il venait, l’antique 
     Signe, hérité des ancêtres, frappant et fécondant ici-bas. 
Car ainsi retournent les Célestes, par un ébranlement profond jaillissant ainsi 
     Hors de l’ombre descend parmi les hommes leur jour.


V

Sans même ressentir qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre 
     Les enfants, trop clair survient-il, trop éblouissant, ce bonheur, 
Et s’en effraie l’homme, à peine sait-il dire, un demi-dieu, 
     Sous quels noms ils paraissent, ceux qui avec des dons l’approchent. 
Mais cet élan qui vient d’eux est grand, lui comble le cœur 
     Leur joie, et à peine sait-il user de ce bien, 
Créant, dilapidant, et lui devient presque sacré le profane, 
     Ce qu’avec une main bénissante, insensé et généreux, il effleure. 
Autant que possible patientent les Célestes ; mais après en vérité 
     Viennent-ils eux-mêmes, et s’accoutumeront les hommes au bonheur 
Et au jour et à voir le manifeste, la révélation 
     De ceux-ci, lesquels dès longtemps déjà nommèrent l’Un et le Tout, 
Profondément comblèrent la muette poitrine d’un libre contentement, 
     Et les premiers et les seuls exaucèrent tous les désirs ; 
L’homme est ainsi ; quand le bien est là, et que se charge de dons 
     Pour lui un dieu même, il ne le connaît ni ne le voit. 
Il doit tout d’abord le supporter ; mais maintenant nomme-t-il 

                                                                               son plus grand amour, 
     Maintenant, maintenant doivent-elles pour cela, les paroles, 

                                                                             comme des fleurs éclore.


VI

Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux, 
     Réellement et vraiment tout doit proclamer leur louange. 
Rien ne peut voir la lumière, qui ne plaise aux Très-Hauts, 
     Devant l’Azur nulle tentative paresseuse ne convient. 
Pour mériter de se tenir en présence des Célestes 
     S’assemblent en splendide ordonnance les peuples 
L’un avec l’autre, et ils bâtissent les beaux temples et les cités 
     Solides et nobles, elles se dressent vers le ciel au-dessus du rivage — 
Mais où sont-elles ? Où fleurissent les illustres, les couronnes de la fête ? 
     Thèbes s’est fanée, et Athènes ; les armes ne retentissent-elles plus jamais 
À Olympie, ni les chars d’or de la joute, 
     Et ne sont-ils donc plus jamais couronnés, les vaisseaux de Corinthe ? 
Pourquoi se taisent-ils aussi, les antiques théâtres sacrés ? 
     Pourquoi donc ne s’est plus enjouée la danse rituelle ? 
Pourquoi ne grave-t-il plus, comme jadis, le front de l’homme, un dieu, 
     N’imprime-t-il plus le sceau, comme jadis, sur les élus ? 
Ou bien venait-il lui-même et prenait forme humaine 
     Et accomplissait et achevait, consolant, la fête céleste.


VII

Mais, amis ! nous venons trop tard. Certes vivent les dieux 
     Mais par-dessus les têtes, là-haut dans un autre monde. 
Sans fin y agissent-ils et semblent peu considérer 
     Si nous vivons, tant nous épargnent les Célestes. 
Car un vase fragile ne peut les contenir toujours, 
     Il ne supporte que pour un temps la plénitude divine, l’homme. 
Rêver d’eux ensuite est la vie. Mais l’égarement 
     Secoure, comme le sommeil, et réconfortent la détresse et la nuit, 
Tant que les héros n’ont pas assez grandi dans leurs berceaux d’airain, 
     Le cœur à l’effort, comme jadis, semblables aux Célestes. 
Tonnant viendront-ils ensuite. Jusque-là me semble souvent 
     Préférable de dormir que d’être ainsi sans compagnons, 
Que d’attendre ainsi, et que faire jusque-là et que dire, 
     Je ne sais, et pourquoi des poètes en ce temps d’indigence. 
Mais ils sont, dis-tu, tels les prêtres sacrés du dieu du vin, 
     Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.


VIII

En effet, lorsqu’il y a quelque temps, nous semble-t-il long, 
     Remontaient-ils tous, ceux qui rendaient la vie heureuse, 
Lorsque le Père détournait sa face des humains, 
     Et que le deuil avec raison commençait sur la terre, 
Lorsque apparaissait en dernier un calme génie, céleste 
     Consolateur, lequel annonça la fin du jour et disparut, 
Laissant pour signe, de ce qu’une fois il avait été là et de nouveau 
     Viendrait, quelques dons rapportés du chœur céleste, 
Desquels humainement, comme jadis, nous puissions nous réjouir, 
     Car en joie, par l’esprit, se transformait le plus grand trop grand 
Parmi les hommes et encore, encore nous manquent les forts qui goûteraient 
     La joie, mais calmement vit encore quelque gratitude. 
Le pain est fruit de la terre, cependant est-il béni par la lumière, 
     Et par le dieu tonnant vient la joie du vin. 
C’est pourquoi nous pensons aussi aux Célestes, qui jadis 
     Étaient là et qui reviendront en un temps propice ; 
C’est pourquoi ils chantent aussi avec sérieux, les chanteurs, le dieu du vin, 
     Et n’est pas vaine fiction, retentissant pour l’Ancien, la louange.


IX

Oui ! ils disent avec raison qu’il concilie le jour avec la nuit, 
     Guide les astres du ciel éternellement s’élevant, déclinant. 
Joyeux en tout temps, comme le feuillage du pin toujours vert 
     Qu’il aime, et la couronne qu’il a choisie de lierre, 
Car il demeure et apporte lui-même la lueur des dieux enfuis 
     Aux abandonnés de Dieu plongés dans les ténèbres. 
Ce que les chants des Anciens prédirent aux enfants de Dieu, 
     Vois ! nous le sommes, nous ; c’est le fruit des Hespérides ! 
C’est merveilleux et exact lorsque cela s’accomplit en l’homme, 
     Le croit qui l’éprouva ! Mais quoiqu’il advienne, 
Rien n’agit, car nous sommes insensibles, des ombres, avant que notre 
     Père l’Azur reconnaisse chacun et appartienne à tous. 
Mais jusque-là vient comme porteur de torches du Très-Haut 
     Le fils, le Syrien, parmi les ombres ici-bas. 
Des sages bienheureux le voient ; d’un sourire s’illumine 
     L’âme captive, à la lumière encore dégèlent leurs yeux. 
Plus doucement rêve et s’endort dans les bras de la terre le Titan, 
     Le jaloux lui-même, Cerbère lui-même va boire et s’endort. 
  
    


            







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                                BROT UND WEIN 
                                                      PAIN ET VIN 
                                                                           An Heinze / à Heinze 
I 
Rings um ruhet die Stadt ; still wird die erleuchtete Gasse,    (1) 
À l’entour se repose la ville ; se calme la rue illuminée, 
     Und, mit Fackeln geschmückt, rauschen die Wagen hinweg. 
     Et, parées de torches, bruissent les voitures en passant. 
Satt gehn heim von Freuden des Tags zu ruhen die Menschen, 
Chez eux rassasiés des joies du jour sont allés se reposer les hommes, 
     Und Gewinn und Verlust wäget ein sinniges Haupt 
     Et le gain et la perte, les mesure une tête pensive 
Wohlzufrieden zu Haus ; leer steht von Trauben und Blumen, 
Dans la quiétude du logis ; vide de grappes et de fleurs 
     Und von Werken der Hand ruht der geschäftige Markt. 
     Et de l’ouvrage des mains, se repose le marché affairé. 
Aber das Saitenspiel tönt fern aus Gärten ; vielleicht, daß 
Mais un luth résonne au loin dans les jardins ; peut-être 
     Dort ein Liebendes spielt oder ein einsamer Mann 
     Là-bas joue un amant, ou un homme solitaire 
Ferner Freunde gedenkt und der Jugendzeit ; und die Brunnen 
D’amis lointains se souvenant, et de la jeunesse ; et les fontaines 
     Immerquillend und frisch rauschen an duftendem Beet. 
     Intarissables et fraîches bruissent dans les parterres embaumés. 
Still in dämmriger Luft ertönen geläutete Glocken,               (2)      
Calme dans l’air assombri résonne le carillon des cloches, 
     Und der Stunden gedenk rufet ein Wächter die Zahl. 
     Et se souvenant de l’heure un veilleur en crie le nombre. 
Jetzt auch kommet ein Wehn und regt die Gipfel des Hains auf,       (3) 
À l’instant se lève aussi une brise et s’agite la cime des arbres, 
     Sieh ! und das Schattenbild unserer Erde, der Mond,         (4)    
     Vois ! et le fantôme de notre terre, la lune, 
Kommet geheim nun auch ; die Schwärmerische, die Nacht kommt, 
Aussi se lève en secret à présent ; l’exaltée, la nuit vient 
     Voll mit Sternen und wohl wenig bekümmert um uns,         (5)    
     Emplie d’étoiles et bien peu soucieuse de nous, 
Glänzt die Erstaunende dort, die Fremdlingin unter den Menschen, 
Brille l’étonnante là-bas, l’étrangère parmi les hommes, 
     Über Gebirgeshöhn traurig und prächtig herauf. 
     Par-dessus l’arête des monts passant triste et splendide.


II

Wunderbar ist die Gunst der Hocherhabnen und niemand 
Merveilleuse est la faveur de la sublime et personne 
     Weiß, von wannen und was einem geschiehet von ihr. 
     Ne sait depuis quand, ni ce qui en provient. 
So bewegt sie die Welt und die hoffende Seele der Menschen, 
Ainsi meut-elle le monde et l’âme espérante des hommes, 
     Selbst kein Weiser versteht, was sie bereitet, denn so 
     Aucun sage même ne comprend comment elle en dispose, car ainsi 
Will es der oberste Gott, der sehr dich liebet, und darum 
Le veut le dieu suprême qui t’aime tant, et c’est pourquoi 
     Ist noch lieber, wie sie, dir der besonnene Tag. 
     Tu lui préfères encore le jour pondéré. 
Aber zuweilen liebt auch klares Auge den Schatten 
Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre 
     Und versuchet zu Lust, eh es die Not ist, den Schlaf, 
     Et cherche pour le plaisir, avant qu’il en soit besoin, le sommeil, 
Oder es blickt auch gern ein treuer Mann in die Nacht hin, 
Ou bien regarde-t-il volontiers, un homme fidèle, loin dans la nuit, 
     Ja, es ziemet sich, ihr Kränze zu weihn und Gesang, 
     Oui, pour l’honorer vos couronnes lui conviennent, et les chants, 
Weil den Irrenden sie geheiliget ist und den Toten,                (6)      
Car aux déments est-elle consacrée, et aux morts, 
     Selber aber besteht, ewig, in freiestem Geist. 
     Mais elle-même gardée, éternellement, dans le plus libre esprit. 
Aber sie muß uns auch, daß in der zaudernden Weile, 
Mais elle nous doit aussi qu’en cette heure indécise, 
     Daß im Finstern für uns einiges Haltbare sei, 
     Qu’en cette obscurité nous soit quelqu’assurance, 
Uns die Vergessenheit und das Heiligtrunkene gönnen, 
Que l’oubli et l’ivresse sacrée nous soient versés, 
     Gönnen das strömende Wort, das, wie die Liebenden, sei,     (7)   
     Versé le verbe torrentiel qui, tels les amants, soit 
Schlummerlos, und vollern Pokal und kühneres Leben, 
Insomnieux, et couple plus pleine et vie plus audacieuse, 
     Heilig Gedächtnis auch, wachend zu bleiben bei Nacht. 
     Mémoire sacrée aussi, pour demeurer éveillé dans la nuit.


III

Auch verbergen umsonst das Herz im Busen, umsonst nur 
Aussi renfermons-nous en vain le cœur dans la poitrine, rien qu’en vain 
     Halten den Mut noch wir, Meister und Knaben, denn wer      (8)    
     Retenons-nous encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc 
Möcht es hindern und wer möcht uns die Freude verbieten ? 
Pourrait l’entraver et qui pourrait nous interdire la joie ? 
 Göttliches Feuer auch treibet, bei Tag und bei Nacht, 
         Le feu divin aussi s’efforce, de jour et de nuit, 
Aufzubrechen. So komm ! daß wir Offene schauen, 
À l’embrasement. Viens donc ! que nous contemplions l’ouvert, 
     Daß ein Eigenes wir suchen, so weit es auch ist. 
     Que nous cherchions notre bien propre, si éloigné soit-il aussi. 
Fest bleibt Eins ; es sei um Mittag oder es gehe 
Assurée demeure une chose ; qu’il soit midi ou qu’on avance 
     Bis in die Mitternacht, immer bestehet ein Maß, 
     Vers la mi-nuit, toujours est gardée une mesure, 
Allen gemein, doch jeglichem auch ist eignes beschieden, 
Commune à tous, bien qu’à chacun soit aussi accordé en propre 
     Dahin gehet und kommt jeder, wohin er es kann. 
     Ce vers quoi s’avance et va chacun, jusqu’où il peut. 
Drum ! Und spotten des Spotts mag gern frohlockender Wahnsinn,    (9)   
Allons ! et volontiers se moque des moqueurs le délire exultant, 
     Wenn er in heiliger Nacht plötzlich die Sänger ergreift. 
     Quand par la nuit sacrée soudain il empoigne les chanteurs. 
 Drum an den Isthmos komm ! dorthin, wo das offene Meer rauscht 
Allons, viens à l’Isthme ! là-bas au loin, où la pleine mer rugit 
     Am Parnaß und der Schnee delphische Felsen umglänzt, 
     Contre le Parnasse et la neige étincelle autour de la roche delphique, 
Dort ins Land des Olymps, dort auf die Höhe Cithärons, 
Là-bas au pays de l’Olympe, là-bas sur les hauteurs du Kithéron, 
     Unter die Fichten dort, unter die Trauben, von wo 
     Sous les pins là-bas, sous les grappes, d’où 
Thebe drunten und Ismenos rauscht im Lande des Kadmos,     (10)   
Monte la rumeur de Thèbes et rugit l’Ismène au pays de Cadmos, 
     Dorther kommt und zurück deutet der kommende Gott. 
     De là-bas est venu et revient présager le dieu à venir.


IV

Seliges Griechenland ! du Haus der Himmlischen alle, 
Bienheureuse Grèce ! toi la maison de tous les Célestes, 
     Also ist wahr, was einst wir in der Jugend gehört ? 
     Ainsi est vrai ce qu’une fois nous entendîmes dans notre enfance ? 
Festlicher Saal ! der Boden ist Meer ! und Tische die Berge, 
Salle des Fêtes ! le sol est la mer ! et tables les monts, 
     Wahrlich zu einzigem Brauche vor alters gebaut ! 
     Vraiment pour ces seules solennités anciennement édifiés ! 
Aber die Thronen, wo ? die Tempel, und wo die Gefäße, 
Mais les trônes, où ? les temples, et où les coupes, 
     Wo mit Nektar gefüllt, Göttern zu Lust der Gesang ? 
     Où remplies de nectar, pour le plaisir des dieux les chants ? 
Wo, wo leuchten sie denn, die fernhintreffenden Sprüche ? 
Où, où donc éclaire-t-il, l’oracle foudroyant les lointains ? 
     Delphi schlummert und wo tönet das große Geschick ? 
     Delphes somnole et où retentit le grand destin ? 
Wo ist das schnelle ? Wo brichts, allgegenwärtigen Glücks voll, 
Où est le prompt ? où perce-t-il, plein du bonheur partout présent 
     Donnernd aus heiterer Luft über die Augen herein ? 
     Tonnant dans l’air plus serein au-dessus des regards levés ? 
Vater Aether ! so riefs und flog von Zunge zu Zunge 
Azur ! ô Père ! cela montait et volait ainsi de bouche en bouche 
     Tausendfach, es ertrug keiner das Leben allein ; 
     Mille fois, il n’était personne pour supporter seul la vie ; 
Ausgeteilet erfreut solch Gut und getauschet, mit Fremden, 
De partager un tel bien réjouissait, et échanger, avec l’étranger, 
     Wirds ein Jubel, es wächst schlafend des Wortes Gewalt : 
     Était une jubilation, elle croissait en dormant, la force du mot : 
Vater ! heiter ! und hallt, so weit es gehet, das uralt             (11)         
Père ! sérénissime ! Et retentissait, de si loin qu’il venait, l’antique 
     Zeichen, von Eltern geerbt, treffend und schaffend hinab. 
     Signe, hérité des ancêtres, frappant et fécondant ici-bas. 
Denn so kehren die Himmlischen ein, tiefschütternd gelangt so 
Car ainsi retournent les Célestes, par un ébranlement profond jaillissant ainsi 
     Aus den Schatten herab unter die Menschen ihr Tag. 
     Hors de l’ombre descend parmi les hommes leur jour.


 V

Unempfunden kommen sie erst, es streben entgegen                (12)         
Sans même d'abord ressentir qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre 
     Ihnen die Kinder, zu hell kommet, zu blendend das Glück, 
     Les enfants, trop clair survient-il, trop éblouissant, ce bonheur, 
Und es scheut sie der Mensch, kaum weiß zu sagen ein Halbgott, 
Et s’en effraie l’homme, à peine sait-il dire, un demi-dieu, 
     Wer mit Namen sie sind, die mit den Gaben ihm nahn. 
     Sous quels noms ils paraissent, ceux qui avec des dons l’approchent. 
Aber der Mut von ihnen ist groß, es füllen das Herz ihm               (13)      
Mais cet élan qui vient d’eux est grand, lui comble le cœur 
     Ihre Freuden und kaum weiß er zu brauchen das Gut, 
     Leur joie, et à peine sait-il user de ce bien, 
Schafft, verschwendet und fast ward ihm Unheiliges heilig, 
Créant, dilapidant, et lui devient presque sacré le profane, 
     Das er mit segnender Hand törig und gütig berührt. 
     Ce qu’avec une main bénissante, insensé et généreux, il effleure. 
Möglichst dulden die Himmlischen dies ; dann aber in Wahrheit 
Autant que possible patientent les Célestes ; mais après en vérité 
     Kommen sie selbst und gewohnt werden die Menschen des Glücks 
     Viennent-ils eux-mêmes, et s’accoutumeront les hommes au bonheur 
Und des Tags und zu schaun die Offenbaren, das Antlitz 
Et au jour et à voir le manifeste, la révélation 
     Derer, welche, schon längst Eines und Alles genannt, 
     De ceux-ci, lesquels dès longtemps déja nommèrent l’Un et le Tout, 
Tief die verschwiegene Brust mit freier Genüge gefüllet, 
Profondément comblèrent la muette poitrine d’un libre contentement, 
     Und zuerst und allein alles Verlangen beglückt ; 
     Et les premiers et les seuls exaucèrent tous les désirs ; 
So ist der Mensch ; wenn da ist das Gut, und es sorget mit Gaben 
L’homme est ainsi ; quand le bien est là, et que se charge de dons 
     Selber ein Gott für ihn, kennet und sieht er es nicht. 
     Pour lui un dieu même, il ne le connaît ni ne le voit. 
Tragen muß er, zuvor ; nun aber nennt er sein Liebstes,      (14)                 
Il doit tout d’abord le supporter ; mais maintenant nomme-t-il son plus grand amour, 
     Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, entstehn.    (15)              
     Maintenant, maintenant doivent-elles pour cela, les paroles, 

                                                                            comme des fleurs éclore. 
 

VI

Und nun denkt er zu ehren in Ernst die seligen Götter,               (16)          
Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux, 
     Wirklich und wahrhaft muß alles verkünden ihr Lob. 
     Réellement et vraiment tout doit proclamer leur louange. 
Nichts darf schauen das Licht, was nicht den Hohen gefället, 
Rien ne peut voir la lumière, qui ne plaise aux Très-Hauts, 
     Vor den Aether gebührt Müßigversuchendes nicht. 
     Devant l’Azur nulle tentative paresseuse ne convient. 
Drum in der Gegenwart der Himmlischen würdig zu stehen, 
Pour mériter de se tenir en présence des Célestes 
     Richten in herrlichen Ordnungen Völker sich auf 
     S’assemblent en splendide ordonnance les peuples 
Untereinander und baun die schönen Tempel und Städte 
L’un avec l’autre, et ils bâtissent les beaux temples et les cités 
     Fest und edel, sie gehn über Gestaden empor — 
     Solides et nobles, elles se dressent vers le ciel au-dessus du rivage — 
Aber wo sind sie ? wo blühn die Bekannten, die Kronen des Festes ? 
Mais où sont-elles ? Où fleurissent les illustres, les couronnes de la fête ? 
     Thebe welkt und Athen ; rauschen die Waffen nicht mehr 
     Thèbes s’est fanée, et Athènes ; les armes ne retentissent-elles plus jamais 
In Olympia, nicht die goldnen Wagen des Kampfspiels, 
À Olympie, ni les chars d’or de la joute, 
     Und bekränzen sich denn nimmer die Schiffe Korinths ? 
     Et ne sont-ils donc plus jamais couronnés, les vaisseaux de Corinthe ? 
Warum schweigen auch sie, die alten heilgen Theater ? 
Pourquoi se taisent-ils aussi, les antiques théatres sacrés ? 
     Warum freuet sich denn nicht der geweihete Tanz ? 
     Pourquoi donc ne s’est plus enjouée la danse rituelle ? 
Warum zeichnet, wie sonst, die Stirne des Mannes ein Gott nicht, 
Pourquoi ne grave-t-il plus, comme jadis, le front de l’homme, un dieu, 
     Drückt den Stempel, wie sonst, nicht dem Getroffenen auf ? 
     N’imprime-t-il plus le sceau, comme jadis, sur les élus ? 
Oder er kam auch selbst und nahm des Menschen Gestalt an 
Ou bien venait-il lui-même et prenait forme humaine 
     Und vollendet’ und schloß tröstend des himmlische Fest. 
     Et accomplissait et achevait, consolant, la fête céleste.


VII

Aber Freund ! wir kommen zu spät. Zwar leben die Götter, 
Mais, amis ! nous venons trop tard. Certes vivent les dieux 
     Aber über dem Haupt droben in anderer Welt. 
     Mais par-dessus les têtes, là-haut dans un autre monde. 
Endlos wirken sie da und scheinens wenig zu achten, 
Sans fin y agissent-ils et semblent peu considèrer 
     Ob wir leben, so sehr schonen die Himmlischen uns. 
     Si nous vivons, tant nous épargnent les Célestes. 
Denn nicht immer vermag ein schwaches Gefäß sie zu fassen, 
Car un vase fragile ne peut les contenir toujours, 
     Nur zu Zeiten erträgt göttliche Fülle der Mensch. 
     Il ne supporte que pour un temps la plénitude divine, l’homme. 
Traum von ihnen ist drauf das Leben. Aber das Irrsal               (17)      
Rêver d’eux ensuite est la vie. Mais l’égarement  l’erreur 
     Hilft, wie Schlummer, und stark machet die Not und die Nacht, 
     Secoure, comme le sommeil, et réconfortent la détresse et la nuit, 
Bis daß Helden genug in der ehernen Wiege gewachsen, 
Tant que les héros n’ont pas assez grandi dans leurs berceaux d’airain, 
     Herzen an Kraft, wie sonst, ähnlich den Himmlischen sind. 
     Le cœur à l’effort, comme jadis, semblables aux Célestes. 
Donnernd kommen sie drauf. Indessen dünket mir öfters 
Tonnant viendront-ils ensuite. Jusque-là me semble souvent 
     Besser zu schlafen, wie so ohne Genossen zu sein, 
     Préférable de dormir que d’être ainsi sans compagnons, 
So zu harren, und was zu tun indes und zu sagen, 
Que d’attendre ainsi, et que faire jusque-là et que dire, 
     Weiß ich nicht, und wozu Dichter in dürftiger Zeit. 
     Je ne sais, et pourquoi des poètes en ce temps d’indigence. 
Aber sie sind, sagst du, wie des Weingotts heilige Priester, 
Mais ils sont, dis-tu, tels les prêtres sacrés du dieu du vin, 
     Welche von Lande zu Land zogen in heiliger Nacht.      (18)   
     Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.


VIII

Nämlich, als vor einiger Zeit, uns dünket sie lange, 
En effet, lorsqu’il y a quelque temps, nous semble-t-il long, 
     Aufwärts stiegen sie all, welche das Leben beglückt, 
     Remontaient-ils tous, ceux qui rendaient la vie heureuse, 
Als der Vater gewandt sein Angesicht von den Menschen, 
Lorsque le Père détournait sa face des humains, 
     Und das Trauern mit Recht über der Erde begann, 
     Et que le deuil avec raison commençait sur la terre, 
Als erschienen zuletz ein stiller Genius, himmlisch 
Lorsque apparaissait en dernier un calme génie, céleste 
     Tröstend, welcher des Tags Ende verkündet’ und schwand, 
     Consolateur, lequel annonça la fin du jour et disparut, 
Ließ zum Zeichen, daß einst er da gewesen und wieder 
Laissant pour signe, de ce qu’une fois il avait été là et de nouveau 
     Käme, der himmlische Chor einige Gaben zurück, 
     Viendrait, quelques dons rapportés du chœur céleste, 
Derer menschlich, wie sonst, wir uns zu freuen vermöchten, 
Desquels humainement, comme jadis, nous puissions nous réjouir, 
     Denn zur Freude, mit Geist, wurde das Größre zu groß 
     Car en joie, par l’esprit, se transformait le plus grand trop grand 
Unter der Menschen und noch, noch fehlen die Starken zu höchsten 
Parmi les hommes et encore, encore nous manquent les forts qui goûteraient 
     Freuden, aber es lebt stille noch einiger Dank. 
     La joie, mais calmement vit encore quelque gratitude. 
Brot ist der Erde Frucht, doch ists vom Lichte gesegnet, 
Le pain est fruit de la terre, cependant est-il béni par la lumière, 
     Und von donnernden Gott kommet die Freude des Weins. 
     Et par le dieu tonnant vient la joie du vin. 
Darum denken wir auch dabei der Himmlischen, die sonst 
C’est pourquoi nous pensons aussi aux Célestes, qui jadis 
     Da gewesen und die kehren in richtiger Zeit, 
     Étaient là et qui reviendront en un temps propice ; 
Darum singen sie auch mit Ernst, die Sänger, den Weingott          (19)         
C’est pourquoi ils chantent aussi avec sérieux, les chanteurs, le dieu du vin, 
     Und nicht eitel erdacht tönet dem Alten das Lob. 
     Et n’est pas vaine fiction, retentissant pour l’Ancien, la louange.


 IX

Ja ! sie sagen mit Recht, er söhne den Tag mit der Nacht aus,     
Oui ! ils disent avec raison qu’il concilie le jour avec la nuit, 
     Führe des Himmels Gestirn ewig hinunter, hinauf, 
     Guide les astres du ciel éternellement s’élevant, déclinant. 
Allzeit froh, wie das Laub der immergrünenden Fichte, 
Joyeux en tout temps, comme le feuillage du pin toujours vert 
     Das er liebt, und der Kranz, den er von Efeu gewählt, 
     Qu’il aime, et la couronne qu’il a choisie de lierre, 
Weil er bleibet und selbst die Spur der entflohenen Götter 
Car il demeure et apporte lui-même la lueur des dieux enfuis 
 Götterlosen hinab unter das Finstere bringt. 
         Aux abandonnés de Dieu plongés dans les ténèbres. 
Was der Alten Gesang von Kindern Gottes geweissagt, 
Ce que les chants anciens prédirent aux enfants de Dieu, 
     Siehe ! wir sind es, wir ; Frucht von Hesperien ists ! 
     Vois ! nous le sommes, nous ; c’est le fruit des Hespérides ! 
Wunderbar und genau ists als an Menschen erfüllet, 
C’est merveilleux et exact lorsque cela s’accomplit en l’homme, 
     Glaube, wer es geprüft ! Aber so vieles geschieht, 
     Le croit qui l’éprouva ! Mais quoiqu’il advienne, 
Keines wirket, denn wir sind herzlos, Schatten, bis unser 
Rien n’agit, car nous sommes insensibles, des ombres, avant que notre 
     Vater Aether erkannt jeden und allen gehört. 
     Père l’Azur reconnaisse chacun et appartienne à tous. 
Aber indessen kommt als Fackelschwinger des Höchsten 
Mais jusque-là vient comme porteur de torches du Très-Haut 
     Sohn, der Syrier, unter die Schatten herab. 
     Le fils, le Syrien, parmi les ombres ici-bas. 
Selige Weise sehns ; ein Lächeln aus der gefangnen 
Des sages bienheureux le voient ; d’un sourire s’illumine 
     Seele leuchtet, dem Licht tauet ihr Auge noch auf. 
     L’âme captive, à la lumière encore dégèlent leurs yeux. 
Sanfter träumet und schläft in Armen der Erde der Titan, 
Plus doucement rêve et s’endort dans les bras de la terre le Titan, 
     Selbst der neidische, selbst Cerberus trinket und schläft. 
     Le jaloux lui-même, Cerbère lui-même va boire et s’endort. 





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Notes :

BROT UND WEIN     I

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 (1)    I v1 :  Rings um ruhet die Stadt ; still wird die erleuchtete Gasse, 
Peut-on traduire simplement par "À l’entour repose la ville" ? 
mais "à l’entour" conduit à entendre "repose" comme indication spatiale : "poser là". 
De plus, la forme réfléchie "se calme" correspond au 'devenir calme' de la rue (still wird
et "se repose la ville / se calme la rue" fait entendre le parallèle rythmique : 
ruhet die Stadt  / still wird die ... Gasse 
                              À l’entour se repose la ville ; se calme la rue illuminée, 
cf. : zu ruhen die Menschen,  "sont allés se reposer les hommes," 
      ruht der geschäftige Markt. "se repose le marché affairé." 
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(2)    I v11 : Still in dämmriger Luft ertönen geläutete Glocken, 
                                                                                            dämmriger : "crépusculaire" 
     Calme dans l’air assombri résonne le carillon des cloches, 
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(3)    I v14 :  Sieh! und das Schattenbild unserer Erde, der Mond, ...

Sans doute, dans Schattenbild, trouve-t-on Schatten et Bild, "une image d’ombre", 
et l’image que son ombre donne d’une chose est sa silhouette... Peut-on traduire Schattenbild par "silhouette" ? 
Mais un fantôme, le fantôme comme double, ne possède-t-il pas son rayonnement propre, contrairement à une silhouette ? 
             Vois ! et le fantôme de notre terre, la lune, ... 
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(4)    I v14 : Jetzt auch kommet ein Wehn ... der Mond, kommet geheim nun auch  ... die Nacht kommt,

On a choisi de ne pas traduire littéralement la réitération du verbe kommen
On ne dit d'un vent qu'il "vient" que si l'on peut ajouter d'où il vient, et dire ici que la brise se "lève" s'accorde à l'irruption de la Nuit. 
Quand la Lune "vient" dans le ciel visible, on la voit se "lever". 
On dit couramment de la nuit qu'elle "tombe", mais l'opposition était ici incongrue entre la lune qui "se lève" et la nuit qui "tombe". 
  À l’instant se lève aussi une brise... la lune, aussi se lève en secret à présent ... la nuit vient 
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(5)    I v17 : 
Un problème de ponctuation : 
est-ce la nuit ou bien la lune qui est "bien peu soucieuse de nous" ? 
"la nuit emplie d’étoiles et bien peu soucieuse de nous" 
ou 
"la nuit vient emplie d’étoiles, et, bien peu soucieuse de nous, la lune..."




BROT UND WEIN     II

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(6)    II v11 :   Weil den Irrenden sie geheiliget ist und den Toten,

J’ai d’abord traduit Irrenden par "déments"... (Irrenhaus : "asile d’aliénés") 
irren, c’est "errer", être "dans l’erreur" aussi bien que dans "l’errance". 
En définitive, désignant ceux dont l'esprit divaguent, aussi bien que les voyageurs ayant perdu leur chemin, 
"égarés" est devenue pour moi la meilleure version : 
                                            Car aux égarés est-elle consacrée, et aux morts, 
 cf. strophe VII v7
Mais pourquoi ne pas dire : "Car elle est consacrée aux égarés et aux morts" ? 
La construction est ici : 'sujet - complément 1- verbe - et complément 2'. 
Elle trouve d’ailleurs une autre illustration dans le vers précédent de la même strophe II : 
        Ja, es ziemet sich, ihr Kränze zu weihn und Gesang, 
        Oui, pour l’honorer vos couronnes lui conviennent, et les chants, 
mais aussi dans la première strophe : 
        Dort ein Liebendes spielt oder ein einsamer Mann 
      Ferner Freunde gedenkt und der Jugendzeit ; 
        Là-bas joue un amant, ou un homme solitaire 
             D’amis lointains se souvenant, et de la jeunesse ;

Dans la construction choisie par Hölderlin, j’entends la parole épousant les mouvements de la conscience : 
en quelque sorte comme une "retransmission en direct" de la façon dont les réalités extérieures se manifestent. 
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(7)    II v16 : Gönnen das strömende Wort, 
      Versé le verbe tumultueux,

                strömende : fluvial ? torrentiel ?




BROT UND WEIN     III

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(8)    III v2 :          Halten den Mut noch wir, Meister und Knaben, denn wer 
                Möcht es hindern und wer möcht uns die Freude verbieten ? 
                     Retenons-nous encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc 
                 Voudrait l’entraver et qui voudrait nous interdire la joie?

Mut : c'est le "courage", qui est ici traduit par élan, pour s'accorder à halten (retenir) et à hindern (entraver)

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(9)    III v11 :  Drum ! Und spotten des Spotts mag gern frohlockender Wahnsinn,

                    Drum an den Isthmos komm !  wo das offene Meer rauscht 
                    Allons! viens à l’Isthme! là-bas au loin, où la pleine mer rugit

Drum : "C'est ça!" (c'est bien çà, mais oui, je t'assure, allons!) 
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(10)    III v17 : von wo / Thebe drunten und Ismenos rauscht im Lande des Kadmos, 
     d'où / Monte la rumeur de Thèbes et rugit l’Ismène au pays de Cadmos,

Nulle "rumeur" dans le texte originel. Une des rares licences que je me permets, 
par ailleurs empruntée à Geneviève Bianquis. 
drunten : d'en bas ; d'en bas "bruit" Thèbes et le fleuve Ismène. 
Le choix du verbe "rugir" répond bien sûr ici à celui qui est fait plus haut, 
                                                                wo das offene Meer rauscht 
                                                          où la pleine mer rugit. 
 



BROT UND WEIN     IV

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(11)    IV v15 :  Vater ! Heiter ! 
            Père! sérénissime ! 
Sérénissime! Oui, cela est "excessif" ; serein est juste. L'usage de ce superlatif s'accorde au ton exclamatif... 
 




BROT UND WEIN     V

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(12)    V v1 : Unempfunden kommen sie erst, es streben entgegen 
                Ihnen die Kinder, zu hell kommet, zu blendend das Glück, 
            Und es scheuet sie der Mensch, 
Passage très difficile à interpréter. 
On peut comprendre "Ils ne viennent que dissimulés, et seuls les enfants vont à leur rencontre..." 
(cf. l'opposition    Kinder <> Mensch)

D’abord unempfunden : "non ressenti" 
Si on ne ressent pas qu’ils viennent, c’est sans doute qu’ils se dissimulent. 
Mais cette cause n’est pas explicitée. (Et je préfère donc la laisser non explicite.) 
La difficulté est dans la question de l’opposition, ou non, entre l’attitude des enfants et celle des hommes. 
L’homme s’effraie de ce bonheur trop éblouissant. Mais les enfants ? 
streben : "s’efforcer d’atteindre, tendre à, ambitionner, viser à, s’orienter vers" 
(cf. streben zum Himmel : "s’élancer vers le ciel") 
entgegen : "contrairement à, à l’encontre de..." mais aussi : "vers..." ; 
(cf. entgegenarbeiten : "s’opposer à..." et entgegenkommen : "se porter à la rencontre de".)

Dans es streben entgegen ihnen die Kinder il ne faut donc pas comprendre "tendent à se détourner d’eux les enfants" 
mais :

"Sans dès l’abord ressentir qu’ils viennent (eux, les célestes dont le jour descend parmi les hommes), 
les enfants [dans leur innocence ?] s’élancent à leur rencontre ; 
[mais] le bonheur (de cette venue) est trop clair et éblouissant pour les hommes ; 
[alors] ils (eux, les hommes) s’en effraient."

Et n’est-ce pas seulement l’opposition Kinder <> Mensch qu’il faut entendre, mais aussi 
la succession Kinder / Mensch / Halbgott ? 
"à peine sait-il dire, un demi-dieu, / Sous quels noms ils paraissent,"

Encore une fois faut-il "prendre la parole comme elle vient" : entendre, dans le mouvement de la parole, la relation au mouvement propre à la perception poétique des événements, et non pas le produit d’une rationalité dominatrice.

Sans dès l’abord ressentir qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre / Les enfants, 
trop clair survient-il, trop éblouissant, ce bonheur, / Et s’en effraie l’homme...

Par ailleurs, le erst de Unempfunden kommen sie erst peut être entendu avec la nuance de "seulement" 
que nous trouvons dans LA MIGRATION (strophe 4) :

Denn, als sie erst sicht angesehen, 
"ils s’étaient d’abord seulement considérés"

Peut-on alors traduire ici : 
"Sans seulement ressentir..." ou   "Sans même ressentir qu’ils viennent,..."

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(13)    V v5 :    Aber der Mut von ihnen ist groß, 
            Mais cet élan qui en vient est grand, 
Mut : c'est le "courage", qui est ici traduit par "élan", cf. strophe III
 Halten den Mut noch wir, Meister und Knaben, denn wer / Möcht es hindern ... ? 
 Retenons-nous encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc / Voudrait l’entraver ... ?

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(14)    V v17 : Tragen muß er, zuvor ; 
            "Doit-il le supporter, d’abord" ? Ici, l’inversion affaiblit l’expression. 
                    Sans doute faut-il rendre muß avec énergie : il doit avant tout le supporter :

                                                        Il doit tout d’abord le supporter ; 
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(15)    V v18 : Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, entstehn.

Le mot das Wort a deux sens, selon que son pluriel est 
Wörtes "les mots", ou Worte, "les expressions", 
En français, "des mots" disent parfois le même que "des paroles" (cf. "un mot d’esprit", ou "il a eu des mots très durs") : 
 



BROT UND WEIN     VI

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(16)    VI v1 :

(V - derniers vers) 
                                                         nun aber nennt er sein Liebstes, 
                  Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, entstehn. 
                    
mais maintenant nomme-t-il son plus grand amour, 
 Maintenant, maintenant doivent-ils pour cela, les mots, comme des fleurs éclore.

 (VI - premier vers)

                        Und nun denkt er zu ehren in Ernst die seligen Götter, 
                        Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux, 
 



  BROT UND WEIN     VII

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(17)    VII v7 :   Aber das Irrsal / Hilft, wie Schlummer, 
                Mais l’égarement / Secoure, comme le sommeil,

En référence à la traduction de    Weil den Irrenden sie geheiliget ist        
 cf. strophe II
                                                  Car aux égarés est-elle consacrée 
Irrsal est traduit ici par "égarement" plutôt que par "erreur".

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(18)    VII v18 :  Welche von Lande zu Land zogen in heiliger Nacht. 
                 Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.

voir la relative "pauvreté" du vocabulaire 
zogen : tirer, tracer, parcourir, etc.




BROT UND WEIN     VIII

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(19)    VIII v17/18 : 
Darum singen sie auch mit Ernst, die Sänger, den Weingott / Und nicht eitel erdacht tönet dem Alten das Lob.

C’est pourquoi chantent-ils aussi avec sérieux, les chanteurs, le dieu du vin, 
Et n’est pas vaine fiction, retentissant pour l’Ancien, la louange.

cf. strophe VI v1 
Und nun denkt er zu ehren in Ernst die seligen Götter, / Wirklich und wahrhaft muß alles verkünden ihr Lob.

Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux, 
 Réellement et vraiment tout doit proclamer leur louange.