dimanche 23 octobre 2016
Une page « de journal », vraiment ?
Pourtant, je n’écris pas de « journal » : je n’écris
pas au jour le jour, tous les jours.
Je n’ai même jamais écrit assez régulièrement – par exemple tous
les dimanches – pour me dire que je tenais mon journal.
(Quelle intéressante expression : « tenir » son
journal…)
J’écris « en passant ». Et ce n’est pas tous les jours
que je « passe » devant quelque chose qui me donne envie de m’arrêter,
pour écrire.
Que je
passe devant quelque chose, ou bien : qu’il se passe quelque chose devant
moi ? Bien entendu, quand on dit « il se passe quelque chose »,
ce n’est pas pour dire que cette chose passe, mais, au contraire, qu’elle est arrivée,
et qu’elle s’installe.
Quoiqu’il
en soit, pour écrire « en passant », il ne suffit pas de passer ;
il ne suffit pas non plus que l’attention soit
retenue par quelque chose, un moment, mais encore faut-il avoir envie d’en dire
quelque chose. Et, qu’une chose soit - un moment - « intéressante »,
cela ne suffit pas pour que l’on prenne le temps – un peu plus d’un moment – pour
dire quelque chose de l’intérêt que l’on y porte.
Encore que certains semblent doués d’une grande rapidité (de
conception, de réalisation) quand il s’agit d’écrire. Mais je n’ai jamais eu,
moi, ce genre de talent, ni n’ai bénéficié d’une formation me permettant de m’en
passer.
Je dois bien reconnaitre que je suis plutôt un peu lent… Il faut
que je rumine mon idée – quand j’en ai une qui veut bien se présenter à moi, et
pour moi : en me donnant le sentiment, provisoire, qu’elle est mienne.
Surtout, il me semble que cette rumination doit être interminable,
littéralement : je n’en ai jamais fini, sinon par un effet de mon épuisement.
En effet, quand, la digestion de l’idée apparemment achevée, je crois venu le
temps de me poser, pour me mettre à écrire, à faire des phrases, pour « formuler »,
comme on dit, cette idée - telle qu’il me semble que ma rumination l’a fait venir
-, je vois vite que je n’en suis encore qu’à relancer d’autres ruminations :
j’ai espéré qu’il ne s’agirait de rien d’autre que d’une rumination accessoire,
cet examen de la meilleure façon d’exposer l’idée… mais non ! Je découvre à chaque fois que, désigner comme
« idée » quelque chose qui n’est pas « dit », et bien, c’est
comme un abus de langage.
Ce qui n’a pas été, d’une façon ou d’une autre, formulé de façon
à être entendue par quelques uns de mes semblables, ce n’est pas rien, mais - ce
n’est pas une idée !
Je ne sais pas ce que c’est, vraiment. Une apparition d’images ?
Quelque sentiment ? Une rêverie ? Ce doit être un état… peut-être provoqué
par une expérience. Oui, sans doute, ce que j’appelle « avoir une idée »,
ce ne serait qu’un état, ou une expérience. Comme on peut être brûlé, suite à
une expérience du feu. Mais l’idée ? Une idée, par exemple, de ce qu’est
la brûlure, ou de ce qu’est le feu… Devra-t-elle, à proprement parler, nous
brûler ? Serait-elle par elle-même, de quelque façon autre que
métaphorique, un feu ?
L’idée – si idée doit être – ne sera que par la parole.
Ce qui implique que, pour chaque parole distincte, qui aura été décidée
à seule fin de formuler une idée ressentie comme originelle, une autre idée, qui
en sera distincte, aura été formée.
A vrai dire, la durée de temps qui va m’être nécessaire, à moi,
pour décider d’une formulation, elle m’est tout à fait personnelle, donc tout à
fait anecdotique.
Par contre, qu’une formulation distincte présente à chaque fois une
idée distincte, et pour cela mérite rumination…
*
Ce
dimanche matin, devant quelle chose suis-je
passé – ou bien quelle chose se passe devant moi – qui m’arrête ici ?
Une émission de radio, entendue par hasard. Pas toute l’émission d’ailleurs,
mais juste un passage…
Il y
est question du bonheur, et des malheurs. Sujet commun. Quelque chose qui y est
dit (que l’on sache désigner sûrement les raisons d’un malheur mais non pas les
raisons du bonheur) entraîne un échange avec la personne à mon côté… C’est d’ailleurs
tout l’intérêt de ce genre d’émission : qu’elle puisse, éventuellement,
provoquer un échange entre les personnes qui l’écoutent. Ce n’est pas que ne
soient pas intéressantes les réponses de celui qui, à la radio, est interrogé
sur le sujet ! Le manque de consistance de ce que l’on entend alors, il tient
plutôt au dispositif obligé, qui empêche que la personne qui interroge laisse
venir toutes les réponses, jusqu’à leur « fond ». Cette personne-là
fait son boulot : retenir l’attention de l’auditeur, d’une enfilade de
publicités commerciales à une autre enfilade de publicités commerciales. Celui
qui répond, heureusement rompu aux contraintes de ces exercices médiatiques, s’en
tire plutôt bien, compte tenu de ces circonstances peu favorables.
Donc, je
comprends qu’il est question, à ce moment-là, du bonheur dans la vie, et des
malheurs de l’existence.
Voilà
bien un énoncé fait pour me rebuter immédiatement. Ces considérations … essentielles,
autant qu’existentielles, oui, bien sûr, pourquoi pas ? Cependant, de les
aborder à ce niveau de généralité, comment est-ce envisageable ?
Mais,
après tout, qu’une question soit mal posée ne fait pas que cette question soit comme
nulle et non avenue. Si « le bonheur » et « le malheur »,
tels qu’ils peuvent être « pour tout le monde », ne me concernent pas
(je ne suis pas, moi, « tout le monde », bien sûr), et bien, rien que
de les entendre évoqués, cela a suffit, aujourd’hui, à me faire revenir sur ce
qu’ils seraient pour moi en particulier.
Donc, il s’agit de ce que
l’on peut désigner sûrement les raisons d’un malheur, mais non pas celles du
bonheur… Le malheur déterminable et le bonheur
évanescent… Que le premier soit toujours prévisible, et que, comme tel, on peut
toujours espérer l’éviter. Mais que, quant au bonheur, quoiqu’il arrive,
que faire d’autre, sinon accepter qu’il arrive ?
De
toute façon, un malheur, on sait ce que c’est : un événement. C’est une
perte, une destruction de ses biens, la détérioration de son corps, l’exil, ou
l’abandon, etc.
Le
bonheur est-il un événement ?
Bien
sûr, on parle d’heureux événements, et de malheureux événements. Mais on sait
bien que ce dont nous parlons ici, ce sont des « états de l’être ».
Alors, le chagrin, la tristesse, l’abattement, oui, voilà des états de l’être
qui se peuvent mesurer au bonheur…
De
même, le bonheur, ce serait… la richesse ? la gloire ? l’amour ?
une satisfaction, toujours, en quelque sorte ?
Mais
non, on le sait, le bonheur, ce n’est pas quelque chose que l’on a, mais qu’il
est dans ce que nous sommes - s’il doit être. On le sait bien, que, si c’est un
malheur de perdre son amour, ce n’est pas d’avoir un amour qui nous rendra
heureux. Ni heureux – ni malheureux, d’ailleurs.
Alors ?
Le
bonheur, il ne me viendra pas de ce que me serait un jour venu l’amour, mais de
ce que je suis présent, dans le temps, à ce qui me vient là, à chaque moment qu’il
me vient.
…
Un bonheur c'est comme une fleur.
On peut bien la cultiver, mais elle s'ouvrira quand elle veut.
Un bonheur, c'est un 'moment', qui est ce qu'il est par tout ce
qui le tient à sa place dans le temps : attaché à ce qui le précède comme
à tout ce qui lui succédera - peut-être. Il peut tenir de la façon dont on l'a
espéré, mais sans qu’on le voir venir comme il est cependant.
C'est elle, bien sûr, la fleur seule, qu’il semble que l'on
respire et admire...
Mais elle est ce qu'elle est, une expression provisoire, admirable,
parce qu’elle est l'expression de toute l’espèce dont elle procède, et de toute
cette plante qui la porte, attachée à sa tige, protégée par ses feuilles,
nourrie par ses racines, et aussi, un peu, de ceux qui l’ont cultivée...
Comme une heure bonne, une fleur n’est qu’un moment dans le
temps. Oui : elle éclot, s’ouvre et se déploie, et se fane. On a tous
récité cela. Mais c’est pourquoi aussi elle est l’expression du tout du Temps.
Oui, floraison est le bonheur