- Étant
donné... une image étant donnée...,
cette image, que vous voyez là :
Cette photographie,
donc, elle est donnée le 3 septembre. Il s’agit de composer, si je veux, un
morceau de musique, avec ou sans paroles... bref, quelque chose de musical, et
qui soit en rapport avec elle.
- En rapport
? Comme une illustration musicale du contenu de l'image ?
- Ce qui est attendu est plutôt de l'ordre de l'émotion, je crois, celle
provoquée, éventuellement, par l'image. Mais ça, le "rapport" entre
l'image donnée et la musique proposée en retour, il est laissé à la libre
appréciation de chacun des participants.
- Ah… alors, c'est un concours ?
- En quelque sorte. Mais tout de même, l’organisateur (*) pose bien quelques
règles à respecter – si l’on veut jouer le jeu. Tout d’abord le temps imparti :
trois petites semaines ; ensuite, bien sûr, chacun est censé ne pas
resservir là de vieux trucs tirés du fond de ses tiroirs. Enfin, il y a
évaluation, premier prix et même une "récompense".
- Oh ! Et avec Grand Jury ?
- Non, c'est l'ensemble de la communauté, chacun de ses membres inscrits, qui
est invité à déclarer ses préférences. Mais surtout, ce qui fait l'intérêt de
l'affaire, c'est que tous les "votants" peuvent commenter publiquement
leurs appréciations.
Ceci étant dit, ce qui me retient très personnellement, là, c'est l'image.
- Cette image-là ?
- Oui, là, c'est celle-là... Quoique, au tout premier abord, elle me
semble bien rébarbative... Bien... grise. Et puis, je suis rentré dans cette
image, tout à fait comme on pénètre un paysage : en regardant à côté, en
explorant du regard ce qui peut s'ouvrir à droite et à gauche de ce que l'on a
directement devant soi. Et même, d'une certaine façon, derrière soi...
- Mais, déjà devant toi, il y avait quoi ?
- L’image. Je veux dire : l’image dont cette photographie est une image –
puisqu’elle rend compte d'une peinture murale. Et je trouve cette peinture par elle-même
assez saisissante : ces deux enfants, debouts au milieu des décombres, apprêtés
pour faire de la musique ?
- Et cette inscription, en lettres rouges, qui les surplombent : SUMMER OF 69 ?
- Oui. Elle oriente ensuite vers quelque chose du contexte : l'Irlande du Nord,
protestants contre catholiques, les morts, Belfast, etc. Toute l'histoire. Mais
ce n'est pas ce qui me touche personnellement, ici.
- Alors ?
- Je ne sais pas trop. Il semble que ça se passe assez loin de mes zones
raisonnantes... Il y a sans doute quelque chose… qui vient de ce que je crois être
le contenu implicite de cette peinture : les enfants de toutes les façons broyés
par la violence politique, quelque soit son prétexte, partout et toujours victimes...
Mais peut-être que l'émotion que peut provoquer ce que raconte cette scène,
aussi frontalement exposée… mon émotion, qui sera en fait le seul
"motif" de mon envie de faire ici de la musique, elle est en quelque
sorte… accélérée par ce que la photographie montre du paysage, ce qui est
visible autour de la peinture murale. Paysage, urbain, plus suggéré que détaillé...
- Le fait
que la scène de la fresque se prolonge, on ne sait jusqu’où, sur les murets
attenants à la façade peinte ?
- Oui, et
puis la façon dont la luminosité sourde et la couleur éteinte du ciel peint
sont accordées au ciel réel, tel que capté par la photographie. On a la
sensation que c’est lui, le ciel réel au dessus de la maison réelle, qui « passe »
au travers du mur supportant la fresque – ce qui provoque comme une évanescence
du mur réel qui supporte la peinture. Dans le même mouvement des perceptions, c’est
« l’effet de réel » de la scène représentée par la peinture qui s’en
trouve renforcé.
- Pourtant,
dans la fresque, cette dé-saturation des couleurs, ce gris-bleu monotone,
souligné par le rouge utilisé par l’inscription, d’ailleurs…
- Et le
rouge, dans les bandes tricolores du tambour ! Oui, mais justement : elle
doit y être pour quelque chose, peut-être, cette juxtaposition des couches –
ces décalages entre la captation relativement objective (opérée par l’appareil
photographique, et aussi la technique du trompe-l’œil utilisée dans la fresque),
et la stylisation de l’image ?
- Ce seraient
toutes ces interférences, entre un « réalisme » d’un côté, et toute
cette symbolisation graphique délibérée, de l’autre, qui justifieraient votre émotion ?
- Elles ne la
motivent pas, mais elles lui donnent son énergie.
- Et ta
musique, donc ?
- Oh, là-dessus,
je n’ai pas grand-chose à dire. Ou plutôt, s’il y avait quelque chose à en
dire, cela devrait être déjà musicalement audible, directement, je crois.
- Mais tout
de même, l’élaboration ? La technique, l’écriture ?
- Non,
là-dessus, rien d’intéressant à exposer ici. Je peux juste dire que ça été pour moi comme… un exercice de style. Tu sais
que je donne plutôt dans la musique… atonale ; qu’en tout cas ma
prédilection me porte d’abord vers la musique contemporaine – et me voilà à utiliser
la musique modale (quasi pure : un seul mode, transposé une fois) et, très
sagement, quelques procédés « point contre point »… C’est donc tout
naturellement que, dans ce morceau, se manifestent réminiscences et hybridité. Mais
tout ça est venu comme ça – de façon subconsciente.
- Tu ne
composes tout de même pas en dormant !
- On, non !
Je ne parle pas du « travail », très délibéré, mais de sa motivation,
de son orientation. Je tiens le volant bien fermement, mais je ne sais qui a
décidé que je devais prendre cette route-là.
https://www.youtube.com/watch?v=xnnfz3U0Vvs