vendredi 30 août 2024

Trois jours de navigation dans les Archipels

 

Trois jours de navigation dans les Archipels



musique : Larue&Co

visuel : Patrick Guillot

  

De par le monde ouvert par les relations 'internet', ouvert d'une façon qu'elles seules rendent possible de cette façon particulière, des pensées se croisent, et parmi elles, parfois, certaines se reconnaissent si bien qu'elles peuvent faire "œuvre de concert". 

Oui : de concert, puisqu'il s'agit d'abord, ici, de musique.

Et, dans le monde de l'art, on ne trouvera jamais autant de possibilités d'œuvrer ensemble que dans le domaine musical.

C'est que la musique, depuis ses premiers âges, doit être cela : comme un lieu destiné à ce que les humains s'y retrouvent ensemble. 

La musique, parfois, va se loger 'par ailleurs' – là où elle sera toujours ce qu'elle est, pleinement, mais ailleurs.

Cet ailleurs est fait d'une matière non sonore, mais dans laquelle la musique peut prendre demeure, tout en demeurant ce qu'elle est, et croître, quoique non sonore.

Ainsi, souvent, la danse.

La musique peut faire danser les corps, muets. De même peut-elle aussi animer des images, silencieuses. Et puis, y revient la parole... 

C'est ainsi que musiques, images animées et textes se trouvent ici ensemble.

 


Si toutes les images ont été produites par Patrick Guillot, tous leurs agencements sont en définitive des « interprétations » chorégraphiques de la musique composée, préalablement, par Francis Larue.

Musique distribuée en vingt-quatre ilots, au milieu desquels on navigue assez librement, pendant ces trois journées

 C’est Francis Larue qui, maintenant, parle de sa propre navigation... 


 Première journée de navigation

https://youtu.be/9KjHHGIEw6o

Un si long traveling sur un paysage sans espoir, sans définition aucune, on ne sait rien de la durée, de l'espace et de sa réalité sinon de son étrangeté soudaine par ce qu'elle perd toute notion d'objectivité, de références à l'image comme à un ordre, comme à la beauté des choses. 

il n'y a pas de plan, d'angle, de grains, de bruit, de lumière. J'ai alors pensé à ces mêmes travellings au croisement des villes abîmées dans les film de Jim Jarmusch ; Ghost Dog ou Only Lovers left alive, ce même abandon des mondes entre chien et loup sur les ruines de Détroit. iI n'y a ni morale, ni regret, c'est simplement inéluctable.

 

Le fil est tendu entre l'errance et ces empreintes animées de couleur, de matières en fusion froide. On ne sait comment leur donner une marge ou même les approcher. Il faut prendre le cap et laisser faire les courants. Il n'y a pas à décrire ce qui n'est pas pour être saisi, inclus.

Et la confusion est certaine, mêlée, entrelacée entre image et musique. Ce n'est rien supposer d'autre que cette simple évidence. 

Jamais je n'ai vu, imaginé, rêvé des paysages, des histoires, des drames lorsque je travaille la musique, élabore les matériaux sonores. La musique est à elle seule et elle se suffit dans ce premier instant du processus. Voilà qui facilite sa mise au portrait, au miroir. 

Ici, l'image prolonge, continue, maintient la musique. Ce n'est pas un récit, mais un parcours. Pas un drame. C'est un archipel, nous pouvons nous y perdre et c'est ce que nous avons de mieux à faire...

 *

 

 Seconde journée de navigation

https://www.youtube.com/watch?v=6JbI9ceCa-s


 

Peut-être, cette relative immobilité des images soulignée pas une relative immobilité musicale, ce second parcours m’a semblé bien plus oppressant, et plus profond encore. 

Peut être l’immobilité même des espaces sonores, à l’approche des îles 3, 4 et 5. Peut-être, l’île 1 en ouverture, dissociée aux évidences par la définition de l’image entre ce qui est inscrit à vif, en piqué sur ce béton, et ce va suivre, ce qu’elles démontrent, ou ce que les images indiquent au deçà des apparences. 

Les urbaines sont en basse définition, le bruit, le grain, la tonalité force le regard vers un abandon, une fin de vivre, une absence et aussi une distance, immense, sommes-nous encore ce monde ? 

 


Les peintures suivent sans absoudre. Elles sont aux failles de couleur, cet immuable et ces reflets de pierres, de quartz fissurés. Il en sera de même à l’approche des îles suivantes jusqu’à la perte de toute dimension, de toute définition. Les arbres ne le sont plus, une ombre négative au blanc, mais ils fuient encore.



Troisième journée de navigation

https://youtu.be/bt_nxBmglKk

 Parcours à vue entre les récifs à angles de béton, les moles et les marches. Il faut se tenir droit sur le pont pour ne pas sombrer, à l’issue de l’odyssée, entre les immobiles, l’image en rappel, toutes ces distances. 

C’est une incise aux issues de pierre, de vagues, de glace, surfaces sans tain et replis en abîme.  


Surpris plus encore, par cette cohérence en un ensemble clos. Une troisième journée s'achève ici, sur le seuil du monde.

Avant même le silence. 


vendredi 23 août 2024

Une mémoire habitable ?

 

Une mémoire habitable ?

 

Dans la lettre de cet ami, reçue hier, il aura suffi d'une brève évocation de certaines choses passées pour provoquer, ce matin, entre sommeil et réveil, une espèce de "vision" - de celles qui se forment en nous sans que notre délibération y soit pour quelque chose.

 J'ai vu chacun de nous, je me suis représenté chacune des personnes humaines, comme autant de maisons.

Une maison alors tout particulièrement individuelle - à chaque fois avec son dessin unique, ses agencements pour chacune à nulle autre pareille. 

C'est que chacune de ces maisons était le produit de l'existence propre à chacun d'entre nous, ou du moins comme son relevé topographique en quelque sorte - en trois dimensions, et même plus.

Une simple figuration de la mémoire ?

Sans doute. Mais ce serait alors au travers d'une figure bien solide, et disposant d'une emprise sensible sur l'espace, et de dimensions suffisantes pour nous tenir rassemblés, et abrités des intempéries, etc. 

Rien à voir avec l'évanescence des souvenirs ?

 

Une personne humaine, une maison.

 Et alors, à l'échelle de l'humanité, une innombrable multitude d'entre elles déjà réduites en gravats, ou emportées au fond des abysses...

Avec, et pour quelques unes seulement, pour seule trace, peut être une vieille photo perdue entre les pages desséchées d'un vieil album, oublié au fond d'une cave... d'une autre maison ?

Admettons aussi qu'il soit possible, en quelques maisons exceptionnelles, que certaines de leurs pièces restent encore, pour un temps, ouvertes à la visite - sous la forme d'une salle de musée, où d'un livre sur l'étagère d'une bibliothèque ?

 Mais, bien sûr, pour la plupart d'entre nous, cette maison-là, faite de tout ce que nous avons vécu, ou rêvé de vivre, de tout ce que nous avons pensé, désiré ou craint, et finalement éprouvé vraiment, pour ensuite nous en souvenir tout au long de nos jours ou bien, croyons-nous, pour l'oublier un peu, ou tout à fait - cette maison-là n'est qu'à notre usage exclusif. 

Et, la plupart du temps, n'y pénètrent que les personnes que nous y invitons - pour autant qu'elles puissent s'y retrouver...

 Ce que je retiens d'abord ici, c'est que tout, toujours, demeure, dans cette maison : rien ne peut jamais s'y trouver définitivement oublié, ou perdu.

Des pièces peuvent être restées longtemps fermées, encombrées d'un désordre qui semble inextricable quand, par curiosité ou par inadvertance, nous en entrouvrons un instant la porte - que nous refermons aussi vite ! 

Mais, refuser de considérer ce désordre n'effacera pas son existence...

 

D'autres pièces sont restées à peu près comme elles étaient, nous semble-t-il, quand nous les avions refermées, il y a si longtemps, pour la dernière fois...

Sans doute la poussière accumulée en dissimule certains détails. Mais voilà, un peu de ménage, et on ouvre les volets ! Et tout se retrouve propre et vif sous le soleil neuf...