UN CONTE VÉRIDIQUE
Il
était un petit garçon, qui une fois – et la première fois pour lui – se trouva
face à une croisée des chemins.
Il
ne savait pas, d’ailleurs, que « croisée des chemins » pouvait être le
nom donné par ailleurs à ce genre d’endroit ; d’ailleurs, il voyait bien
que, en cet endroit, ces deux chemins ne se croisaient pas à proprement parler,
mais plus exactement se rejoignaient, ici, devant lui.
S’y
rejoignaient-ils, ou bien en partaient-ils ? se demandait-il.
(Car
il était de ce genre de garçon qui se pose toujours des questions à propos de
tout, et parfois de rien ; et, depuis trop longtemps n’ayant personne à
son côté pour répondre, il avait fini
par prendre goût à la recherche personnelle des réponses.)
Alors,
ces deux chemins, l’un partant vers sa droite et l’autre de son côté gauche ?
« Ces deux chemins, à cet endroit, se rejoignent-ils ? Ou bien en partent-ils,
de cet endroit ? »
Mais,
en vérité, cela est proprement indécidable ! décida-t-il. En effet, ici, toute
décision dépendra du point d’où j’ai vue. (Car il était de ce genre de garçons
qui se montrent assez précoces quand il s’agit de raisonner.)
En
fait, il se trouvait là où l’avait mené une longue marche sur cette route toute
droite – et si longue qu’il avait oublié qui l’y avait déposé, sans doute après
que ses parents aient disparu ?
C’est
à plusieurs reprises qu’une voix était venue de quelque part du ciel (une part qu’il
n’avait pas le moyen de géolocaliser), pour prétendre que père et mère
l’avaient abandonné dans une poubelle, ou bien qu’ils étaient morts du typhus.
Mais, rebuté par ces affirmations contradictoires, et de toute façon contraint
de se rendre à l’évidence que, sans la plus petite preuve scientifique relative
à ce point d’histoire, il lui serait à tout jamais impossible d’obtenir une
réponse incontestable, il ne s’en souciait plus depuis longtemps.
Ainsi,
il est juste de dire que cette route droite, et d’ailleurs également plate,
était à ce jour la seule qu’il ait jamais connue, d’autant plus qu’aucun des
paysages traversés, la bordant de part et d’autre sans discontinuer, ne pouvaient
engager le petit garçon à s’en détourner, même pour un instant : déserts
de pierres aux arêtes vives, épais fouillis de ronces écorcheuses, obscurité de
monstrueuses futaies, impénétrable au regard même en plein midi… Non, rien pour
donner envie de la moindre déambulation un peu curieuse hors de cette
route ; nulle ouverture pour seulement suggérer la possibilité d’une brève
récréation…
Aussi,
cette croisée des chemins le défiait-elle.
Cependant,
à première vue… cette première vue ne lui offrait rigoureusement aucun moyen de
discerner ne serait-ce qu’un aspect, un seul, permettant de différencier les
deux voies – mis à part que, devant lui, l’une allait à droite, et l’autre à
gauche. Il avait beau cligner des yeux, et tant et plus : de part et
d’autre, au-delà d’une plaine qui semblait parfaitement plane et déserte, les lointains lui paraissaient également
lointains ; de chaque côté l’horizon semblait identique, de chaque côté
identiquement rectiligne, sans épaisseur, et absolument… horizontal.
Mais,
comme il était de ces garçons, petits et grands, qui se vantent d’être les plus
fins observateurs de tout ce qui leur passe devant les yeux (qu’ils n’ont pas
dans leurs poches, de toute façon), c’est par expérience qu’il savait déjà que,
de toute façon, un horizon tel que découvert ici ne permet jamais de préjuger
de ce que sera l’horizon à découvrir depuis là-bas… à l’horizon…
Bref,
il fallait s’en remettre à lancer les dés.
Mais
il n’avait pas de dés.
Pourtant
il allait devoir faire un choix.
Qu’il
s’avère que, par hasard sans doute, ce soit le bon choix, vous le verrez en
suivant tous les épisodes jusqu'au dernier – quand notre héros pourra se dire, enfin, qu’il
ne s’en fallait que d’un cheveu, vraiment, qu’il ne se soit trompé, à l’endroit
fatidique.
Mais,
je déteste qu'on me raconte une histoire en anticipant sur le final de son dernier acte !
...
Mais
c’est un fait, que c’est une histoire de cheveu. Donc, un cheveu, qu’il avait
sur la langue. Non pas au sens figuré – il articulait tout à fait
convenablement, quand il s’en donnait la peine. Non, c’était un cheveu, sur sa
langue, au sens propre … Quoique, sur la langue, un cheveu ne fasse pas bien propre…
Bref,
dans la grande solitude à laquelle il était depuis si longtemps contraint, ce
ne pouvait être, évidemment, qu’un de ses cheveux, qui lui agaçait le bout de
la langue – ce dont il s’assura, quand il réussit enfin à l’en délivrer. Non, ce
n’était pas une plume légère, ni même un brin de duvet : ce n’était rien
d’autre qu’un de ses cheveux, qu’il tenait devant ses yeux pour l’observer – quand il le vit soudain lui échapper !
Emporté
par la brise – vers sa droite.
Ainsi
soit-il : il suivrait le chemin partant à main droite.
Donc,
le petit garçon allait toujours suivant ce cheveu, qui voletait assez
étrangement, en gardant toujours ses distances, les mêmes : trop grandes
pour qu’il puisse s’en ressaisir, mais pas si grandes qu’il le perde de vue.
Ce
cheveu n’était-il pas là comme son ange gardien ? Mais alors, l’ange
gardien d’un petit diable ? Car, tout de même, il se souvenait, quoique
assez vaguement pour ce qui touchait aux détails, que, globalement, il n’avait
peut-être pas été un petit garçon toujours bien sage…
Quoiqu’il
en soit, bien lui en avait pris, de prendre ce chemin-là plutôt que l’autre.
En
effet, après être parvenu, d’abord, à cet horizon quasi abstrait, tel qu’entrevu
depuis cette croisée des chemins, ce fut une toute autre contrée qui
s’offrit à sa vue, à son espoir…
Escarpée,
mais lumineuse.
Certes,
au travers d’un relief si accidenté, ce chemin là était beaucoup plus sinueux…
Mais sous un ciel d’un bleu si pur !
Et
puis, là, après tant de virages inquiétants, et d’ascensions de pentes souvent
abruptes, et de descentes au fond de gouffres parfois vertigineux, il rencontra
son amour.