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Nous sommes, nous autres humains,
des animaux qui vont parlant. C’est convenu. Et pour ma part, cela me convient
très bien : et l’animal, et le parlant.
Quant à notre animalité, elle peut
être le motif de méditations profondes, et prolongées, et d’étonnement aussi
sans doute, et de stupeur et d’émerveillement…, mais elle n’est pas ici mon
propos.
Donc, animal, mais parlant : voilà, ici, ce qui
m’arrête – ou, plutôt, ce qui me met en mouvement.
Dire l’humain « animal, mais
parlant », c’est dire – naturellement – que l’animal, lui, ne parle pas.
Certes, il ne dispose pas de nos moyens de produire ces ensembles de sons
articulés que nous avons codifiés (?) afin de constituer ces ensembles (de signes)
organisés en langues. Etc.
Mais, ces langues, elles nous
servent à quoi ? Telle est la question…
Répondrons-nous que la langue nous sert
à communiquer entre nous… De
fait, la plupart du temps, c’est pour ça – que nous parlons (et écrivons). Mais,
alors, je ne vois pas trop comment cet usage de la parole nous distinguerait
essentiellement des animaux. N’ont-ils pas, eux aussi, les animaux, toutes
sortes de façons de communiquer ?
Par exemple, les contenus de nos
modes d’emploi (pour les machines à laver, ou pour un logiciel, par exemple), ou
ceux des harangues d’un politicien, ou d’une marchande des quatre saisons, ou bien
celui d’articles sur les vertus de l’économie « de marché » (ou sur
la formation des trous noirs), ou bien ce qui se dit entre les deux parties
d’un couple quand il s’agit de savoir « C’est quand, sans les enfants,
enfin ! » et si « La mer, ou la montagne ? », etc. – je ne suis pas sûr qu’ils (les contenus de
ces communications) se distinguent essentiellement de ceux qui, par exemple,
sont produits par des abeilles quand elles montrent à d’autres par où et
jusqu’où se diriger pour trouver des fleurs intéressantes à butiner, ou par
certains animaux d’une certaine espèce quand ils enseignent à leurs petits
comment éviter les pièges disposés par les grands d’une autre espèce, ou bien par
le responsable d’une horde quand il indique au groupe qu’il est temps de
migrer, ou bien par tel mâle quand il désire persuader la femelle qu’il a élue...
Etc.
Sans doute les moyens de
communiquer dont dispose l’animal ne lui permettent pas d’élaborer, formuler, d’échanger
des « concepts », des abstractions.
(Est-ce parce qu’il ne lui est pas
possible de s’extraire de la réalité immédiatement perçue qu’il ne peut pas
accéder au langage – et, donc, aux concepts ? Ou bien est-ce parce qu’il
ne dispose pas de la parole qu’il lui est impossible de mettre
l’immédiateté à distance ?
Je laisse la question en suspens.)
Quoi qu’il
en soit, chez l’humain, qu’il ait appris à parler – et à écrire et à lire –,
cela ne semble pas lui garantir toujours qu’il ait appris à penser – à se tenir
assez détaché de la réalité immédiate pour commencer de penser (en concepts).
Donc, la communication ne distingue
pas l’homme de l’animal, et quant à la faculté de produire des concepts, elle
n’est pas si partagée qu’elle soit la marque de l’humanité dans sa généralité.
Non, ses possibilités
« communicatoires », non plus que sa nécessité quand il s’agit de
penser, ne fondent la spécificité de la parole.
Alors quoi ?
Alors, le plaisir !
Le plaisir, le goût. Ce qui
fait l’humanité de la parole
(humaine), c’est le bonheur – à parler.
Utile,
la parole n’est qu’animale, en quelque sorte.
Pour
que la parole nous fasse humain, il ne faut (pour le meilleur comme pour le
pire), que la trouver agréable.
N’est-elle pour rien, la
satisfaction d’avoir simplement mis ses idées en bon ordre, et d’avoir ainsi
efficacement exposé ce que l’on pense ? Non, bien entendu.
N’est-il pas satisfaisant d’avoir
réussi à exprimer ses sentiments de façon touchante ? Oui, certes !
Mais, ce qui est d’une tout autre
nature que ces satisfactions, parfaitement légitimes par ailleurs, c’est le
bonheur éprouvé… non pas à seulement disposer du mot lui-même, juste, mais, à
goûter sa justesse même ! Et son invention surprenante, et la surprise de
son invention…
De ce qu’il soit venu, mais aussi
de ce qu’il soit venu si bien !
Après, oui, il faut « travailler ».
Non pas pour chercher, mais pour continuer à être en état de trouver… Déblayant
le terrain de tout ce qui nous obstrue la vue, et nous empêche d’encore le découvrir,
qui brille au bord du chemin… le trésor…
Ce bonheur du mot, il doit venir de
ce que nous devons pressentir que ce n’est pas nous, notre ego veux-je dire, qui l’a produit, ce mot bien trouvé, mais, comme notre
bon génie ?
Et puis la force de son
surgissement, du don, cette énergie que nous absorbons alors…
Maintenant, maintenant doivent-elles pour cela, les
paroles,
comme des fleurs éclore. (*)
___________________________________________
(*)
Du poème de Friedrich
Hölderlin, PAIN ET VIN,
la
fin de la cinquième strophe :
…
L’homme est ainsi
; quand le bien est là, et que se charge de dons
Pour lui un dieu
même, il ne le connaît ni ne le voit.
Il doit tout d’abord le supporter ; mais maintenant nomme-t-il son plus grand amour,
Il doit tout d’abord le supporter ; mais maintenant nomme-t-il son plus grand amour,
Maintenant,
maintenant doivent-elles pour cela, les paroles, comme des fleurs éclore.
BROT UND WEIN
…
So ist der Mensch ; wenn da ist das Gut, und es sorget mit Gaben
Selber ein Gott für ihn, kennet und sieht er es nicht.
Selber ein Gott für ihn, kennet und sieht er es nicht.
Tragen muß er, zuvor ; nun aber nennt er sein Liebstes,
Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, entstehn.
http://patrickg75.e-monsite.com/pages/holderlin-pain-et-vin.html
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