Friedrich HÖLDERLIN / BROT UND WEIN / PAIN ET VIN
(traduction proposée par Patrick Guillot)
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PAIN ET VIN
à Heinze
I
À l’entour se repose la
ville ; se calme la rue illuminée,
Et, parées de
torches, bruissent les voitures en passant.
Chez eux rassasiés des joies du jour
sont allés se reposer les hommes,
Et le gain et
la perte, les mesure une tête pensive
Dans la quiétude du logis ; vide de
grappes et de fleurs
Et de l’ouvrage
des mains, se repose le marché affairé.
Mais un luth résonne au loin dans les
jardins ; peut-être
Là-bas joue un
amant, ou un homme solitaire
D’amis lointains se souvenant, et de la
jeunesse ; et les fontaines
Intarissables
et fraîches bruissent dans les parterres embaumés.
Calme dans l’air assombri résonne le
carillon des cloches,
Et se souvenant
de l’heure un veilleur en crie le nombre.
À l’instant se lève aussi une brise et
s’agite la cime des arbres,
Vois ! et le
fantôme de notre terre, la lune,
Aussi se lève en secret à présent ;
l’exaltée, la nuit vient
Emplie
d’étoiles et bien peu soucieuse de nous,
Brille l’étonnante là-bas, l’étrangère
parmi les hommes,
Par-dessus
l’arête des monts passant triste et splendide.
II
Merveilleuse est la
faveur de la sublime et personne
Ne sait depuis
quand, ni ce qui en provient.
Ainsi meut-elle le monde et l’âme espérante
des hommes,
Aucun sage même
ne comprend comment elle en dispose, car ainsi
Le veut le dieu suprême qui t’aime tant,
et c’est pourquoi
Tu lui préfères
encore le jour pondéré.
Mais parfois le plus clair regard aime
aussi l’ombre
Et cherche pour
le plaisir, avant qu’il en soit besoin, le sommeil,
Ou bien regarde-t-il volontiers, un
homme fidèle, loin dans la nuit,
Oui, pour
l’honorer vos couronnes lui conviennent, et les chants,
Car aux égarés est-elle consacrée, et
aux morts,
Mais elle-même
gardée, éternellement, dans le plus libre esprit.
Mais elle nous doit aussi qu’en cette
heure indécise,
Qu’en cette
obscurité nous soit quelque assurance,
Que l’oubli et l’ivresse sacrée nous
soient versés,
Versé le verbe
torrentiel qui, tels les amants, soit
Insomnieux, et couple plus pleine et vie
plus audacieuse,
Mémoire sacrée
aussi, pour demeurer éveillé dans la nuit.
III
Aussi renfermons-nous
en vain le cœur dans la poitrine, rien qu’en vain
Retenons-nous
encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc
Pourrait l’entraver et qui pourrait nous
interdire la joie ?
Le feu divin
aussi s’efforce, de jour et de nuit,
À l’embrasement. Viens donc ! que nous
contemplions l’ouvert,
Que nous
cherchions notre bien propre, si éloigné soit-il aussi.
Assurée demeure une chose ; qu’il soit
midi ou qu’on avance
Vers la
mi-nuit, toujours est gardée une mesure,
Commune à tous, bien qu’à chacun soit
aussi accordé en propre
Ce vers quoi
s’avance et va chacun, jusqu’où il peut.
Allons ! et volontiers se moque des
moqueurs le délire exultant,
Quand par la
nuit sacrée soudain il empoigne les chanteurs.
Allons, viens à l’Isthme ! là-bas au
loin, où la pleine mer rugit
Contre le
Parnasse et la neige étincelle autour de la roche delphique,
Là-bas au pays de l’Olympe, là-bas sur
les hauteurs du Kithéron,
Sous les pins
là-bas, sous les grappes, d’où
Monte la rumeur de Thèbes et rugit
l’Ismène au pays de Cadmos,
De là-bas est
venu et revient présager le dieu à venir.
IV
Bienheureuse Grèce !
toi la maison de tous les Célestes,
Ainsi est vrai
ce qu’une fois nous entendîmes dans notre enfance ?
Salle des Fêtes ! le sol est la mer ! et
tables les monts,
Vraiment pour
ces seules solennités anciennement édifiés !
Mais les trônes, où ? les temples, et où
les coupes,
Où remplies de
nectar, pour le plaisir des dieux les chants ?
Où, où donc éclaire-t-il, l’oracle
foudroyant les lointains ?
Delphes somnole
et où retentit le grand destin ?
Où est le prompt ? où perce-t-il, plein
du bonheur partout présent,
Tonnant dans
l’air plus serein au-dessus des regards levés ?
Azur ! ô Père ! cela montait et volait
ainsi de bouche en bouche
Mille fois, il
n’était personne pour supporter seul la vie ;
De partager un tel bien réjouissait, et
échanger, avec l’étranger,
Était une
jubilation, elle croissait en dormant, la force du mot :
Père ! sérénissime ! Et retentissait, de
si loin qu’il venait, l’antique
Signe, hérité
des ancêtres, frappant et fécondant ici-bas.
Car ainsi retournent les Célestes, par
un ébranlement profond jaillissant ainsi
Hors de l’ombre
descend parmi les hommes leur jour.
V
Sans même ressentir
qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre
Les enfants,
trop clair survient-il, trop éblouissant, ce bonheur,
Et s’en effraie l’homme, à peine sait-il
dire, un demi-dieu,
Sous quels noms
ils paraissent, ceux qui avec des dons l’approchent.
Mais cet élan qui vient d’eux est grand,
lui comble le cœur
Leur joie, et à
peine sait-il user de ce bien,
Créant, dilapidant, et lui devient
presque sacré le profane,
Ce qu’avec une
main bénissante, insensé et généreux, il effleure.
Autant que possible patientent les
Célestes ; mais après en vérité
Viennent-ils
eux-mêmes, et s’accoutumeront les hommes au bonheur
Et au jour et à voir le manifeste, la
révélation
De ceux-ci,
lesquels dès longtemps déjà nommèrent l’Un et le Tout,
Profondément comblèrent la muette
poitrine d’un libre contentement,
Et les premiers
et les seuls exaucèrent tous les désirs ;
L’homme est ainsi ; quand le bien est
là, et que se charge de dons
Pour lui un
dieu même, il ne le connaît ni ne le voit.
Il doit tout d’abord le supporter ; mais
maintenant nomme-t-il
son plus grand amour,
Maintenant,
maintenant doivent-elles pour cela, les paroles,
comme des fleurs éclore.
VI
Et maintenant
pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux,
Réellement et
vraiment tout doit proclamer leur louange.
Rien ne peut voir la lumière, qui ne
plaise aux Très-Hauts,
Devant l’Azur
nulle tentative paresseuse ne convient.
Pour mériter de se tenir en présence des
Célestes
S’assemblent en
splendide ordonnance les peuples
L’un avec l’autre, et ils bâtissent les
beaux temples et les cités
Solides et
nobles, elles se dressent vers le ciel au-dessus du rivage —
Mais où sont-elles ? Où fleurissent les
illustres, les couronnes de la fête ?
Thèbes s’est
fanée, et Athènes ; les armes ne retentissent-elles plus jamais
À Olympie, ni les chars d’or de la
joute,
Et ne sont-ils
donc plus jamais couronnés, les vaisseaux de Corinthe ?
Pourquoi se taisent-ils aussi, les
antiques théâtres sacrés ?
Pourquoi donc
ne s’est plus enjouée la danse rituelle ?
Pourquoi ne grave-t-il plus, comme
jadis, le front de l’homme, un dieu,
N’imprime-t-il
plus le sceau, comme jadis, sur les élus ?
Ou bien venait-il lui-même et prenait
forme humaine
Et
accomplissait et achevait, consolant, la fête céleste.
VII
Mais, amis ! nous
venons trop tard. Certes vivent les dieux
Mais par-dessus
les têtes, là-haut dans un autre monde.
Sans fin y agissent-ils et semblent peu
considérer
Si nous vivons,
tant nous épargnent les Célestes.
Car un vase fragile ne peut les contenir
toujours,
Il ne supporte
que pour un temps la plénitude divine, l’homme.
Rêver d’eux ensuite est la vie. Mais
l’égarement
Secoure, comme
le sommeil, et réconfortent la détresse et la nuit,
Tant que les héros n’ont pas assez
grandi dans leurs berceaux d’airain,
Le cœur à
l’effort, comme jadis, semblables aux Célestes.
Tonnant viendront-ils ensuite. Jusque-là
me semble souvent
Préférable de
dormir que d’être ainsi sans compagnons,
Que d’attendre ainsi, et que faire
jusque-là et que dire,
Je ne sais, et
pourquoi des poètes en ce temps d’indigence.
Mais ils sont, dis-tu, tels les prêtres
sacrés du dieu du vin,
Ceux qui de
pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.
VIII
En effet, lorsqu’il y a
quelque temps, nous semble-t-il long,
Remontaient-ils
tous, ceux qui rendaient la vie heureuse,
Lorsque le Père détournait sa face des
humains,
Et que le deuil
avec raison commençait sur la terre,
Lorsque apparaissait en dernier un calme
génie, céleste
Consolateur,
lequel annonça la fin du jour et disparut,
Laissant pour signe, de ce qu’une fois
il avait été là et de nouveau
Viendrait,
quelques dons rapportés du chœur céleste,
Desquels humainement, comme jadis, nous
puissions nous réjouir,
Car en joie,
par l’esprit, se transformait le plus grand trop grand
Parmi les hommes et encore, encore nous
manquent les forts qui goûteraient
La joie, mais
calmement vit encore quelque gratitude.
Le pain est fruit de la terre, cependant
est-il béni par la lumière,
Et par le dieu
tonnant vient la joie du vin.
C’est pourquoi nous pensons aussi aux
Célestes, qui jadis
Étaient là et
qui reviendront en un temps propice ;
C’est pourquoi ils chantent aussi avec
sérieux, les chanteurs, le dieu du vin,
Et n’est pas
vaine fiction, retentissant pour l’Ancien, la louange.
IX
Oui ! ils disent avec
raison qu’il concilie le jour avec la nuit,
Guide les
astres du ciel éternellement s’élevant, déclinant.
Joyeux en tout temps, comme le feuillage
du pin toujours vert
Qu’il aime, et
la couronne qu’il a choisie de lierre,
Car il demeure et apporte lui-même la lueur
des dieux enfuis
Aux abandonnés
de Dieu plongés dans les ténèbres.
Ce que les chants des Anciens prédirent
aux enfants de Dieu,
Vois ! nous le
sommes, nous ; c’est le fruit des Hespérides !
C’est merveilleux et exact lorsque cela
s’accomplit en l’homme,
Le croit qui
l’éprouva ! Mais quoiqu’il advienne,
Rien n’agit, car nous sommes
insensibles, des ombres, avant que notre
Père l’Azur
reconnaisse chacun et appartienne à tous.
Mais jusque-là vient comme porteur de
torches du Très-Haut
Le fils, le
Syrien, parmi les ombres ici-bas.
Des sages bienheureux le voient ; d’un
sourire s’illumine
L’âme captive,
à la lumière encore dégèlent leurs yeux.
Plus doucement rêve et s’endort dans les
bras de la terre le Titan,
Le jaloux
lui-même, Cerbère lui-même va boire et s’endort.
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BROT UND WEIN
PAIN ET VIN
An Heinze / à Heinze
I
Rings um ruhet die Stadt ; still wird
die erleuchtete Gasse, (1)
À l’entour se repose la ville ; se calme la rue illuminée,
Und, mit
Fackeln geschmückt, rauschen die Wagen hinweg.
Et, parées de torches, bruissent les voitures en
passant.
Satt gehn heim von Freuden des Tags zu
ruhen die Menschen,
Chez eux rassasiés des joies du jour sont allés se reposer les hommes,
Und Gewinn und
Verlust wäget ein sinniges Haupt
Et le gain et la perte, les mesure une tête pensive
Wohlzufrieden zu Haus ; leer steht von
Trauben und Blumen,
Dans la quiétude du logis ; vide de grappes et de fleurs
Und von Werken
der Hand ruht der geschäftige Markt.
Et de l’ouvrage des mains, se repose le marché
affairé.
Aber das Saitenspiel tönt fern aus
Gärten ; vielleicht, daß
Mais un luth résonne au loin dans les jardins ; peut-être
Dort ein
Liebendes spielt oder ein einsamer Mann
Là-bas joue un amant, ou un homme solitaire
Ferner Freunde gedenkt und der
Jugendzeit ; und die Brunnen
D’amis lointains se souvenant, et de la jeunesse ; et les fontaines
Immerquillend
und frisch rauschen an duftendem Beet.
Intarissables et fraîches bruissent dans les parterres
embaumés.
Still in dämmriger Luft ertönen
geläutete
Glocken, (2)
Calme dans l’air assombri résonne le carillon des cloches,
Und der Stunden
gedenk rufet ein Wächter die Zahl.
Et se souvenant de l’heure un veilleur en crie le
nombre.
Jetzt auch kommet ein Wehn und regt die
Gipfel des Hains auf, (3)
À l’instant se lève aussi une brise et s’agite la cime des arbres,
Sieh ! und das
Schattenbild unserer Erde, der
Mond, (4)
Vois ! et le fantôme de notre terre, la lune,
Kommet geheim nun auch ; die
Schwärmerische, die Nacht kommt,
Aussi se lève en secret à présent ; l’exaltée, la nuit vient
Voll mit
Sternen und wohl wenig bekümmert um uns, (5)
Emplie d’étoiles et bien peu soucieuse de nous,
Glänzt die Erstaunende dort, die
Fremdlingin unter den Menschen,
Brille l’étonnante là-bas, l’étrangère parmi les hommes,
Über
Gebirgeshöhn traurig und prächtig herauf.
Par-dessus l’arête des monts passant triste et
splendide.
II
Wunderbar ist die Gunst
der Hocherhabnen und niemand
Merveilleuse est la faveur de la sublime et personne
Weiß, von
wannen und was einem geschiehet von ihr.
Ne sait depuis quand, ni ce qui en provient.
So bewegt sie die Welt und die hoffende
Seele der Menschen,
Ainsi meut-elle le monde et l’âme espérante des hommes,
Selbst kein
Weiser versteht, was sie bereitet, denn so
Aucun sage même ne comprend comment elle en dispose,
car ainsi
Will es der oberste Gott, der sehr dich
liebet, und darum
Le veut le dieu suprême qui t’aime tant, et c’est pourquoi
Ist noch
lieber, wie sie, dir der besonnene Tag.
Tu lui préfères encore le jour pondéré.
Aber zuweilen liebt auch klares Auge den
Schatten
Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre
Und versuchet
zu Lust, eh es die Not ist, den Schlaf,
Et cherche pour le plaisir, avant qu’il en soit
besoin, le sommeil,
Oder es blickt auch gern ein treuer Mann
in die Nacht hin,
Ou bien regarde-t-il volontiers, un homme fidèle, loin dans la nuit,
Ja, es ziemet
sich, ihr Kränze zu weihn und Gesang,
Oui, pour l’honorer vos couronnes lui conviennent, et
les chants,
Weil den Irrenden sie geheiliget ist und
den
Toten, (6)
Car aux déments est-elle consacrée, et aux morts,
Selber aber
besteht, ewig, in freiestem Geist.
Mais elle-même gardée, éternellement, dans le plus
libre esprit.
Aber sie muß uns auch, daß in der
zaudernden Weile,
Mais elle nous doit aussi qu’en cette heure indécise,
Daß im Finstern
für uns einiges Haltbare sei,
Qu’en cette obscurité nous soit quelqu’assurance,
Uns die Vergessenheit und das
Heiligtrunkene gönnen,
Que l’oubli et l’ivresse sacrée nous soient versés,
Gönnen das
strömende Wort, das, wie die Liebenden, sei, (7)
Versé le verbe torrentiel qui, tels les amants, soit
Schlummerlos, und vollern Pokal und
kühneres Leben,
Insomnieux, et couple plus pleine et vie plus audacieuse,
Heilig
Gedächtnis auch, wachend zu bleiben bei Nacht.
Mémoire sacrée aussi, pour demeurer éveillé dans la
nuit.
III
Auch verbergen umsonst
das Herz im Busen, umsonst nur
Aussi renfermons-nous en vain le cœur dans la poitrine, rien qu’en vain
Halten den Mut
noch wir, Meister und Knaben, denn wer (8)
Retenons-nous encore cet élan, maîtres et élèves, qui
donc
Möcht es hindern und wer möcht uns die
Freude verbieten ?
Pourrait l’entraver et qui pourrait nous interdire la joie ?
Göttliches Feuer auch treibet, bei
Tag und bei Nacht,
Le feu divin aussi s’efforce,
de jour et de nuit,
Aufzubrechen. So komm ! daß wir Offene
schauen,
À l’embrasement. Viens donc ! que nous contemplions l’ouvert,
Daß ein Eigenes
wir suchen, so weit es auch ist.
Que nous cherchions notre bien propre, si éloigné
soit-il aussi.
Fest bleibt Eins ; es sei um Mittag oder
es gehe
Assurée demeure une chose ; qu’il soit midi ou qu’on avance
Bis in die
Mitternacht, immer bestehet ein Maß,
Vers la mi-nuit, toujours est gardée une mesure,
Allen gemein, doch jeglichem auch ist
eignes beschieden,
Commune à tous, bien qu’à chacun soit aussi accordé en propre
Dahin gehet und
kommt jeder, wohin er es kann.
Ce vers quoi s’avance et va chacun, jusqu’où il peut.
Drum ! Und spotten des Spotts mag gern
frohlockender Wahnsinn, (9)
Allons ! et volontiers se moque des moqueurs le délire exultant,
Wenn er in
heiliger Nacht plötzlich die Sänger ergreift.
Quand par la nuit sacrée soudain il empoigne les
chanteurs.
Drum an den Isthmos komm !
dorthin, wo das offene Meer rauscht
Allons, viens à l’Isthme ! là-bas au loin, où la pleine mer rugit
Am Parnaß und
der Schnee delphische Felsen umglänzt,
Contre le Parnasse et la neige étincelle autour de la
roche delphique,
Dort ins Land des Olymps, dort auf die
Höhe Cithärons,
Là-bas au pays de l’Olympe, là-bas sur les hauteurs du Kithéron,
Unter die
Fichten dort, unter die Trauben, von wo
Sous les pins là-bas, sous les grappes, d’où
Thebe drunten und Ismenos rauscht im
Lande des Kadmos, (10)
Monte la rumeur de Thèbes et rugit l’Ismène au pays de Cadmos,
Dorther kommt
und zurück deutet der kommende Gott.
De là-bas est venu et revient présager le dieu à venir.
IV
Seliges Griechenland !
du Haus der Himmlischen alle,
Bienheureuse Grèce ! toi la maison de tous les Célestes,
Also ist wahr,
was einst wir in der Jugend gehört ?
Ainsi est vrai ce qu’une fois nous entendîmes dans
notre enfance ?
Festlicher Saal ! der Boden ist Meer !
und Tische die Berge,
Salle des Fêtes ! le sol est la mer ! et tables les monts,
Wahrlich zu
einzigem Brauche vor alters gebaut !
Vraiment pour ces seules solennités anciennement
édifiés !
Aber die Thronen, wo ? die Tempel, und
wo die Gefäße,
Mais les trônes, où ? les temples, et où les coupes,
Wo mit Nektar
gefüllt, Göttern zu Lust der Gesang ?
Où remplies de nectar, pour le plaisir des dieux les
chants ?
Wo, wo leuchten sie denn, die
fernhintreffenden Sprüche ?
Où, où donc éclaire-t-il, l’oracle foudroyant les lointains ?
Delphi
schlummert und wo tönet das große Geschick ?
Delphes somnole et où retentit le grand destin ?
Wo ist das schnelle ? Wo brichts,
allgegenwärtigen Glücks voll,
Où est le prompt ? où perce-t-il, plein du bonheur partout présent
Donnernd aus
heiterer Luft über die Augen herein ?
Tonnant dans l’air plus serein au-dessus des regards
levés ?
Vater Aether ! so riefs und flog von
Zunge zu Zunge
Azur ! ô Père ! cela montait et volait ainsi de bouche en bouche
Tausendfach, es
ertrug keiner das Leben allein ;
Mille fois, il n’était personne pour supporter seul la
vie ;
Ausgeteilet erfreut solch Gut und
getauschet, mit Fremden,
De partager un tel bien réjouissait, et échanger, avec l’étranger,
Wirds ein
Jubel, es wächst schlafend des Wortes Gewalt :
Était une jubilation, elle croissait en dormant, la
force du mot :
Vater ! heiter ! und hallt, so weit es
gehet, das
uralt (11)
Père ! sérénissime ! Et retentissait, de si loin qu’il venait, l’antique
Zeichen, von
Eltern geerbt, treffend und schaffend hinab.
Signe, hérité des ancêtres, frappant et fécondant
ici-bas.
Denn so kehren die Himmlischen ein,
tiefschütternd gelangt so
Car ainsi retournent les Célestes, par un ébranlement profond jaillissant ainsi
Aus den
Schatten herab unter die Menschen ihr Tag.
Hors de l’ombre descend parmi les hommes leur jour.
V
Unempfunden kommen sie
erst, es streben
entgegen (12)
Sans même d'abord ressentir qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre
Ihnen die
Kinder, zu hell kommet, zu blendend das Glück,
Les enfants, trop clair survient-il, trop éblouissant,
ce bonheur,
Und es scheut sie der Mensch, kaum weiß
zu sagen ein Halbgott,
Et s’en effraie l’homme, à peine sait-il dire, un demi-dieu,
Wer mit Namen
sie sind, die mit den Gaben ihm nahn.
Sous quels noms ils paraissent, ceux qui avec des dons
l’approchent.
Aber der Mut von ihnen ist groß, es
füllen das Herz
ihm (13)
Mais cet élan qui vient d’eux est grand, lui comble le cœur
Ihre Freuden
und kaum weiß er zu brauchen das Gut,
Leur joie, et à peine sait-il user de ce bien,
Schafft, verschwendet und fast ward ihm
Unheiliges heilig,
Créant, dilapidant, et lui devient presque sacré le profane,
Das er mit
segnender Hand törig und gütig berührt.
Ce qu’avec une main bénissante, insensé et généreux,
il effleure.
Möglichst dulden die Himmlischen dies ;
dann aber in Wahrheit
Autant que possible patientent les Célestes ; mais après en vérité
Kommen sie
selbst und gewohnt werden die Menschen des Glücks
Viennent-ils eux-mêmes, et s’accoutumeront les hommes
au bonheur
Und des Tags und zu schaun die
Offenbaren, das Antlitz
Et au jour et à voir le manifeste, la révélation
Derer, welche,
schon längst Eines und Alles genannt,
De ceux-ci, lesquels dès longtemps déja nommèrent l’Un
et le Tout,
Tief die verschwiegene Brust mit freier
Genüge gefüllet,
Profondément comblèrent la muette poitrine d’un libre contentement,
Und zuerst und
allein alles Verlangen beglückt ;
Et les premiers et les seuls exaucèrent tous les
désirs ;
So ist der Mensch ; wenn da ist das Gut,
und es sorget mit Gaben
L’homme est ainsi ; quand le bien est là, et que se charge de dons
Selber ein Gott
für ihn, kennet und sieht er es nicht.
Pour lui un dieu même, il ne le connaît ni ne le voit.
Tragen muß er, zuvor ; nun aber nennt er
sein
Liebstes, (14)
Il doit tout d’abord le supporter ; mais maintenant nomme-t-il son plus grand
amour,
Nun, nun müssen
dafür Worte, wie Blumen, entstehn. (15)
Maintenant, maintenant doivent-elles pour cela, les
paroles,
comme des fleurs éclore.
VI
Und nun denkt er zu ehren
in Ernst die seligen
Götter, (16)
Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux,
Wirklich und
wahrhaft muß alles verkünden ihr Lob.
Réellement et vraiment tout doit proclamer leur
louange.
Nichts darf schauen das Licht, was nicht
den Hohen gefället,
Rien ne peut voir la lumière, qui ne plaise aux Très-Hauts,
Vor den Aether
gebührt Müßigversuchendes nicht.
Devant l’Azur nulle tentative paresseuse ne convient.
Drum in der Gegenwart der Himmlischen
würdig zu stehen,
Pour mériter de se tenir en présence des Célestes
Richten in
herrlichen Ordnungen Völker sich auf
S’assemblent en splendide ordonnance les peuples
Untereinander und baun die schönen
Tempel und Städte
L’un avec l’autre, et ils bâtissent les beaux temples et les cités
Fest und edel,
sie gehn über Gestaden empor —
Solides et nobles, elles se dressent vers le ciel
au-dessus du rivage —
Aber wo sind sie ? wo blühn die
Bekannten, die Kronen des Festes ?
Mais où sont-elles ? Où fleurissent les illustres, les couronnes de la fête ?
Thebe welkt und
Athen ; rauschen die Waffen nicht mehr
Thèbes s’est fanée, et Athènes ; les armes ne
retentissent-elles plus jamais
In Olympia, nicht die goldnen Wagen des
Kampfspiels,
À Olympie, ni les chars d’or de la joute,
Und bekränzen
sich denn nimmer die Schiffe Korinths ?
Et ne sont-ils donc plus jamais couronnés, les
vaisseaux de Corinthe ?
Warum schweigen auch sie, die alten
heilgen Theater ?
Pourquoi se taisent-ils aussi, les antiques théatres sacrés ?
Warum freuet
sich denn nicht der geweihete Tanz ?
Pourquoi donc ne s’est plus enjouée la danse rituelle
?
Warum zeichnet, wie sonst, die Stirne
des Mannes ein Gott nicht,
Pourquoi ne grave-t-il plus, comme jadis, le front de l’homme, un dieu,
Drückt den
Stempel, wie sonst, nicht dem Getroffenen auf ?
N’imprime-t-il plus le sceau, comme jadis, sur les
élus ?
Oder er kam auch selbst und nahm des
Menschen Gestalt an
Ou bien venait-il lui-même et prenait forme humaine
Und vollendet’
und schloß tröstend des himmlische Fest.
Et accomplissait et achevait, consolant, la fête
céleste.
VII
Aber Freund ! wir
kommen zu spät. Zwar leben die Götter,
Mais, amis ! nous venons trop tard. Certes vivent les dieux
Aber über dem
Haupt droben in anderer Welt.
Mais par-dessus les têtes, là-haut dans un autre
monde.
Endlos wirken sie da und scheinens wenig
zu achten,
Sans fin y agissent-ils et semblent peu considèrer
Ob wir leben,
so sehr schonen die Himmlischen uns.
Si nous vivons, tant nous épargnent les Célestes.
Denn nicht immer vermag ein schwaches
Gefäß sie zu fassen,
Car un vase fragile ne peut les contenir toujours,
Nur zu Zeiten
erträgt göttliche Fülle der Mensch.
Il ne supporte que pour un temps la plénitude divine,
l’homme.
Traum von ihnen ist drauf das Leben.
Aber das
Irrsal (17)
Rêver d’eux ensuite est la vie. Mais l’égarement l’erreur
Hilft, wie
Schlummer, und stark machet die Not und die Nacht,
Secoure, comme le sommeil, et réconfortent la détresse
et la nuit,
Bis daß Helden genug in der ehernen
Wiege gewachsen,
Tant que les héros n’ont pas assez grandi dans leurs berceaux d’airain,
Herzen an
Kraft, wie sonst, ähnlich den Himmlischen sind.
Le cœur à l’effort, comme jadis, semblables aux
Célestes.
Donnernd kommen sie drauf. Indessen
dünket mir öfters
Tonnant viendront-ils ensuite. Jusque-là me semble souvent
Besser zu
schlafen, wie so ohne Genossen zu sein,
Préférable de dormir que d’être ainsi sans compagnons,
So zu harren, und was zu tun indes und
zu sagen,
Que d’attendre ainsi, et que faire jusque-là et que dire,
Weiß ich nicht,
und wozu Dichter in dürftiger Zeit.
Je ne sais, et pourquoi des poètes en ce temps
d’indigence.
Aber sie sind, sagst du, wie des
Weingotts heilige Priester,
Mais ils sont, dis-tu, tels les prêtres sacrés du dieu du vin,
Welche von
Lande zu Land zogen in heiliger Nacht. (18)
Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.
VIII
Nämlich, als vor
einiger Zeit, uns dünket sie lange,
En effet, lorsqu’il y a quelque temps, nous semble-t-il long,
Aufwärts
stiegen sie all, welche das Leben beglückt,
Remontaient-ils tous, ceux qui rendaient la vie
heureuse,
Als der Vater gewandt sein Angesicht von
den Menschen,
Lorsque le Père détournait sa face des humains,
Und das Trauern
mit Recht über der Erde begann,
Et que le deuil avec raison commençait sur la terre,
Als erschienen zuletz ein stiller
Genius, himmlisch
Lorsque apparaissait en dernier un calme génie, céleste
Tröstend,
welcher des Tags Ende verkündet’ und schwand,
Consolateur, lequel annonça la fin du jour et
disparut,
Ließ zum Zeichen, daß einst er da
gewesen und wieder
Laissant pour signe, de ce qu’une fois il avait été là et de nouveau
Käme, der
himmlische Chor einige Gaben zurück,
Viendrait, quelques dons rapportés du chœur céleste,
Derer menschlich, wie sonst, wir uns zu
freuen vermöchten,
Desquels humainement, comme jadis, nous puissions nous réjouir,
Denn zur
Freude, mit Geist, wurde das Größre zu groß
Car en joie, par l’esprit, se transformait le plus
grand trop grand
Unter der Menschen und noch, noch fehlen
die Starken zu höchsten
Parmi les hommes et encore, encore nous manquent les forts qui goûteraient
Freuden, aber
es lebt stille noch einiger Dank.
La joie, mais calmement vit encore quelque gratitude.
Brot ist der Erde Frucht, doch ists vom
Lichte gesegnet,
Le pain est fruit de la terre, cependant est-il béni par la lumière,
Und von
donnernden Gott kommet die Freude des Weins.
Et par le dieu tonnant vient la joie du vin.
Darum denken wir auch dabei der
Himmlischen, die sonst
C’est pourquoi nous pensons aussi aux Célestes, qui jadis
Da gewesen und
die kehren in richtiger Zeit,
Étaient là et qui reviendront en un temps propice ;
Darum singen sie auch mit Ernst, die Sänger,
den Weingott (19)
C’est pourquoi ils chantent aussi avec sérieux, les chanteurs, le dieu du vin,
Und nicht eitel
erdacht tönet dem Alten das Lob.
Et n’est pas vaine fiction, retentissant pour
l’Ancien, la louange.
IX
Ja ! sie sagen mit
Recht, er söhne den Tag mit der Nacht aus,
Oui ! ils disent avec raison qu’il concilie le jour avec la nuit,
Führe des
Himmels Gestirn ewig hinunter, hinauf,
Guide les astres du ciel éternellement s’élevant,
déclinant.
Allzeit froh, wie das Laub der
immergrünenden Fichte,
Joyeux en tout temps, comme le feuillage du pin toujours vert
Das er liebt,
und der Kranz, den er von Efeu gewählt,
Qu’il aime, et la couronne qu’il a choisie de lierre,
Weil er bleibet und selbst die Spur der
entflohenen Götter
Car il demeure et apporte lui-même la lueur des dieux enfuis
Götterlosen hinab unter das
Finstere bringt.
Aux abandonnés de Dieu plongés
dans les ténèbres.
Was der Alten Gesang von Kindern Gottes
geweissagt,
Ce que les chants anciens prédirent aux enfants de Dieu,
Siehe ! wir
sind es, wir ; Frucht von Hesperien ists !
Vois ! nous le sommes, nous ; c’est le fruit des
Hespérides !
Wunderbar und genau ists als an Menschen
erfüllet,
C’est merveilleux et exact lorsque cela s’accomplit en l’homme,
Glaube, wer es
geprüft ! Aber so vieles geschieht,
Le croit qui l’éprouva ! Mais quoiqu’il advienne,
Keines wirket, denn wir sind herzlos,
Schatten, bis unser
Rien n’agit, car nous sommes insensibles, des ombres, avant que notre
Vater Aether
erkannt jeden und allen gehört.
Père l’Azur reconnaisse chacun et appartienne à tous.
Aber indessen kommt als Fackelschwinger
des Höchsten
Mais jusque-là vient comme porteur de torches du Très-Haut
Sohn, der
Syrier, unter die Schatten herab.
Le fils, le Syrien, parmi les ombres ici-bas.
Selige Weise sehns ; ein Lächeln aus der
gefangnen
Des sages bienheureux le voient ; d’un sourire s’illumine
Seele leuchtet,
dem Licht tauet ihr Auge noch auf.
L’âme captive, à la lumière encore dégèlent leurs
yeux.
Sanfter träumet und schläft in Armen der
Erde der Titan,
Plus doucement rêve et s’endort dans les bras de la terre le Titan,
Selbst der
neidische, selbst Cerberus trinket und schläft.
Le jaloux lui-même, Cerbère lui-même va boire et
s’endort.
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Notes :
BROT UND
WEIN I
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(1) I v1 : Rings um ruhet die Stadt ; still wird
die erleuchtete Gasse,
Peut-on traduire simplement par "À l’entour repose la ville" ?
mais "à l’entour" conduit à entendre "repose" comme
indication spatiale : "poser là".
De plus, la forme réfléchie "se calme" correspond au 'devenir calme'
de la rue (still
wird)
et "se
repose la ville / se calme la rue" fait entendre le
parallèle rythmique :
ruhet die Stadt / still wird die
... Gasse
À l’entour se repose la ville ; se calme la rue illuminée,
cf. : zu
ruhen die Menschen, "sont allés se reposer les
hommes,"
ruht der
geschäftige Markt. "se repose le marché
affairé."
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(2) I v11 : Still in dämmriger Luft ertönen
geläutete Glocken,
dämmriger : "crépusculaire"
Calme dans l’air assombri résonne le carillon des cloches,
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(3) I v14 : Sieh! und das Schattenbild unserer Erde,
der Mond, ...
Sans doute, dans Schattenbild,
trouve-t-on Schatten et Bild, "une image
d’ombre",
et l’image que son ombre donne d’une chose est sa silhouette... Peut-on
traduire Schattenbild par
"silhouette" ?
Mais un fantôme, le fantôme comme double, ne possède-t-il pas son rayonnement
propre, contrairement à une silhouette ?
Vois ! et le fantôme de notre terre, la lune, ...
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(4) I v14 : Jetzt auch kommet ein Wehn ... der Mond,
kommet geheim nun auch ... die Nacht kommt,
On a choisi de ne pas
traduire littéralement la réitération du verbe kommen.
On ne dit d'un vent qu'il "vient" que si l'on peut ajouter d'où il
vient, et dire ici que la brise se "lève" s'accorde à l'irruption de
la Nuit.
Quand la Lune "vient" dans le ciel visible, on la voit se
"lever".
On dit couramment de la nuit qu'elle "tombe", mais l'opposition était
ici incongrue entre la lune qui "se lève" et la nuit qui
"tombe".
À
l’instant se lève aussi une brise... la lune, aussi se lève en secret à présent ... la nuit vient
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(5) I v17 :
Un problème de ponctuation :
est-ce la nuit ou bien la lune qui est "bien peu soucieuse de nous" ?
"la nuit emplie d’étoiles et bien peu soucieuse de nous"
ou
"la
nuit vient emplie d’étoiles, et, bien peu
soucieuse de nous, la
lune..."
BROT UND WEIN II
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(6) II v11 : Weil den Irrenden sie geheiliget ist und
den Toten,
J’ai d’abord traduit Irrenden par
"déments"... (Irrenhaus :
"asile d’aliénés")
irren, c’est
"errer", être "dans l’erreur" aussi bien que dans
"l’errance".
En définitive, désignant ceux dont l'esprit divaguent, aussi bien que les
voyageurs ayant perdu leur chemin,
"égarés" est devenue pour moi la meilleure version :
Car aux égarés est-elle consacrée, et aux morts,
cf. strophe VII v7
Mais pourquoi ne pas dire : "Car elle est consacrée aux égarés
et aux morts" ?
La construction est ici : 'sujet - complément 1- verbe - et complément 2'.
Elle trouve d’ailleurs une autre illustration dans le vers précédent de la même
strophe II :
Ja, es ziemet sich, ihr Kränze zu weihn und Gesang,
Oui, pour l’honorer vos couronnes lui conviennent, et les chants,
mais aussi dans la première strophe :
Dort ein Liebendes spielt oder ein einsamer Mann
Ferner Freunde gedenkt und der
Jugendzeit ;
Là-bas joue un amant, ou un homme solitaire
D’amis lointains se souvenant, et de la jeunesse ;
Dans la construction
choisie par Hölderlin, j’entends la parole épousant les mouvements de la
conscience :
en quelque sorte comme une "retransmission en direct" de la façon
dont les réalités extérieures se manifestent.
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(7) II v16 : Gönnen das strömende Wort,
Versé le verbe tumultueux,
strömende :
fluvial ? torrentiel ?
BROT UND WEIN III
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(8) III v2
: Halten den Mut noch wir, Meister und Knaben, denn wer
Möcht es hindern und wer möcht uns die
Freude verbieten ?
Retenons-nous encore cet élan, maîtres
et élèves, qui donc
Voudrait l’entraver et qui voudrait nous interdire la joie?
Mut : c'est le
"courage", qui est ici traduit par élan, pour s'accorder à halten (retenir) et
à hindern (entraver)
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(9) III v11 : Drum ! Und spotten des Spotts mag gern
frohlockender Wahnsinn,
Drum an den Isthmos komm ! wo das offene Meer rauscht
Allons! viens à l’Isthme! là-bas au loin, où la pleine mer rugit
Drum : "C'est
ça!" (c'est bien çà, mais oui, je t'assure, allons!)
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(10) III v17 : von wo / Thebe drunten und Ismenos
rauscht im Lande des Kadmos,
d'où / Monte la rumeur de Thèbes et
rugit l’Ismène au pays de Cadmos,
Nulle
"rumeur" dans le texte originel. Une des rares licences que je me
permets,
par ailleurs empruntée à Geneviève Bianquis.
drunten : d'en bas
; d'en bas "bruit" Thèbes et le fleuve Ismène.
Le choix du verbe "rugir" répond bien sûr ici à celui qui est fait
plus haut,
wo das offene Meer rauscht
où la pleine mer rugit.
BROT UND
WEIN IV
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(11) IV v15 : Vater ! Heiter !
Père! sérénissime !
Sérénissime! Oui, cela est "excessif" ; serein est juste. L'usage de
ce superlatif s'accorde au ton exclamatif...
BROT UND WEIN V
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(12) V v1 : Unempfunden kommen sie erst, es streben
entgegen
Ihnen die Kinder, zu hell kommet, zu blendend das Glück,
Und es scheuet sie der Mensch,
Passage très difficile à interpréter.
On peut comprendre "Ils ne viennent que dissimulés, et seuls les
enfants vont à leur rencontre..."
(cf. l'opposition Kinder <> Mensch)
D’abord unempfunden :
"non ressenti"
Si on ne ressent pas qu’ils viennent, c’est sans doute qu’ils se dissimulent.
Mais cette cause n’est pas explicitée. (Et je préfère donc la laisser non
explicite.)
La difficulté est dans la question de l’opposition, ou non, entre l’attitude
des enfants et celle des hommes.
L’homme s’effraie de ce bonheur trop éblouissant. Mais les enfants ?
streben :
"s’efforcer d’atteindre, tendre à, ambitionner, viser à, s’orienter
vers"
(cf. streben
zum Himmel : "s’élancer vers le ciel")
entgegen :
"contrairement à, à l’encontre de..." mais aussi :
"vers..." ;
(cf. entgegenarbeiten :
"s’opposer à..." et entgegenkommen : "se porter à la rencontre
de".)
Dans es streben entgegen ihnen die Kinder il
ne faut donc pas comprendre "tendent à se détourner d’eux les
enfants"
mais :
"Sans dès l’abord ressentir qu’ils
viennent (eux, les célestes dont le jour descend parmi les
hommes),
les enfants [dans leur
innocence ?] s’élancent
à leur rencontre ;
[mais] le
bonheur (de cette venue) est trop clair et éblouissant pour les
hommes ;
[alors] ils (eux,
les hommes) s’en
effraient."
Et n’est-ce pas
seulement l’opposition Kinder <> Mensch qu’il faut
entendre, mais aussi
la succession Kinder
/ Mensch / Halbgott ?
"à peine sait-il dire, un
demi-dieu, / Sous quels noms ils paraissent,"
Encore une fois faut-il
"prendre la parole comme elle vient" : entendre, dans le mouvement de
la parole, la relation au mouvement propre à la perception poétique des
événements, et non pas le produit d’une rationalité dominatrice.
Sans dès l’abord
ressentir qu’ils viennent, s’élancent à leur rencontre / Les
enfants,
trop clair survient-il, trop éblouissant, ce bonheur, / Et s’en effraie l’homme...
Par ailleurs, le erst de Unempfunden kommen sie erst peut
être entendu avec la nuance de "seulement"
que nous trouvons dans LA MIGRATION (strophe 4) :
Denn, als sie erst
sicht angesehen,
"ils s’étaient d’abord seulement
considérés"
Peut-on alors traduire
ici :
"Sans seulement ressentir..." ou "Sans même ressentir qu’ils
viennent,..."
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(13) V v5 : Aber der Mut von ihnen ist groß,
Mais cet élan qui en vient est grand,
Mut : c'est le
"courage", qui est ici traduit par "élan", cf. strophe
III
Halten den Mut noch wir, Meister und Knaben, denn wer / Möcht es hindern ... ?
Retenons-nous
encore cet élan, maîtres et élèves, qui donc / Voudrait l’entraver ... ?
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(14) V v17 : Tragen muß er, zuvor ;
"Doit-il le supporter, d’abord" ? Ici, l’inversion affaiblit
l’expression.
Sans doute faut-il rendre muß avec énergie :
il doit avant
tout le supporter :
Il doit tout d’abord le supporter ;
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(15) V v18 : Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen,
entstehn.
Le mot das Wort a deux
sens, selon que son pluriel est
Wörtes "les
mots", ou Worte,
"les expressions",
En français, "des mots" disent parfois le même que "des
paroles" (cf. "un mot d’esprit", ou "il a eu des mots très
durs") :
BROT UND
WEIN VI
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(16) VI v1 :
(V - derniers vers)
nun aber nennt er sein Liebstes,
Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen,
entstehn.
mais maintenant nomme-t-il son plus grand amour,
Maintenant,
maintenant doivent-ils pour cela, les mots, comme des fleurs éclore.
(VI - premier
vers)
Und nun denkt er zu ehren in Ernst die seligen Götter,
Et maintenant pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux
bienheureux,
BROT UND WEIN VII
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(17) VII v7 : Aber das Irrsal / Hilft, wie Schlummer,
Mais l’égarement / Secoure, comme le sommeil,
En référence à la
traduction de Weil den Irrenden sie geheiliget ist
cf. strophe II
Car aux égarés est-elle consacrée
Irrsal est traduit
ici par "égarement" plutôt que par "erreur".
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(18) VII v18 : Welche von Lande zu Land zogen in heiliger Nacht.
Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée.
voir la relative
"pauvreté" du vocabulaire
zogen : tirer,
tracer, parcourir, etc.
BROT UND WEIN
VIII
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(19) VIII v17/18 :
Darum singen sie auch mit Ernst, die Sänger, den Weingott / Und nicht
eitel erdacht tönet dem Alten das Lob.
C’est pourquoi
chantent-ils aussi avec sérieux, les chanteurs, le dieu du vin,
Et n’est pas vaine fiction, retentissant
pour l’Ancien, la louange.
cf. strophe VI v1
Und nun denkt er zu ehren in
Ernst die seligen Götter, / Wirklich und wahrhaft muß alles verkünden ihr
Lob.
Et maintenant
pensent-ils à honorer avec sérieux les dieux bienheureux,
Réellement et vraiment tout doit
proclamer leur louange.