mercredi
11 mai 2022
Passant
rue du Temple, dimanche dernier, je suis un instant comme bousculé - non par un
piéton trop pressé, comme cela arrive assez souvent sur ces trottoirs trop
étroits, mais, c'est que mon regard, qui jusqu'alors vaquait sans rien pour
l'occuper particulièrement, vient de percuter des surfaces colorées...
Nous
sommes devant la vitrine d'une galerie, et ce sont des tableaux qui, tout
naturellement, s'y exposent.
Alors,
nous sommes rentrés pour en voir, et en savoir, plus.
Nous sommes au 69 la rue du Temple, dans la galerie Saphir,
Nous y découvrons une
part de l'œuvre de Jean-Claude Van Blime.
Je dis
bien : découvrir.
(Je ne
suis pas spécialement attentif à l’actualité des expositions, et j’ignorais
jusqu’au nom de ce peintre.)
Pour moi, toute peinture - digne de cette appellation – doit toujours être,
étrangement, essentiellement silencieuse, pour ne pas dire muette.
Bien sûr,
si dès l'abord elle-même garde le silence, ce n'est
peut-être pas pour dire... qu'elle ne veut rien dire. Et, qu'elle-même semble
muette, cela ne l’a jamais empêchée de faire parler ; parfois, elle peut
même aller jusqu’à le provoquer irrésistiblement, ce désir d'en parler…
Me voila
donc dans cet état particulier, ce dimanche 8 mai 2022, devant ces tableaux ici
exposés : sommé de faire silence, et pressé d’en dire quelque chose…
(Je sais bien que tout ce que l’on peut dire « de la peinture » n’ajoute
jamais rien « à la peinture » elle-même : quand un poète parle de
peinture, il compose un poème ; il ne retouche pas la toile !
Mais, je ne
suis pas même, ici, dans la position du poète ; seulement "un passant
qui passe", un quidam qui a seulement besoin d’éclaircir, parfois, pour
lui-même, les tenants et aboutissants de ses réactions.
Dans les tableaux que je découvre ce jour-là, j'ai vu pointer l'évidence.
L’évidence - je veux dire : comme le concept même d'évidence.
Certes,
l’évidence est depuis longtemps une notion parfaitement vidée de toute
signification, après avoir été si abusivement sollicitée par tous ceux qui
veulent ainsi s’éviter l’effort d’argumenter. Certes, ce n’est rien d’autre que
leur « intime conviction » qui leur est évidente. C’est évident…
Cependant,
avec la peinture, dans le face à face avec la peinture, nous revenons à la
source du concept : l’évidence, comme attribut de toute chose qui est
"vue", et dont la réalité, alors, du simple fait qu'elle est
"vue", s'impose à la pensée, de telle façon qu'on n'a besoin d'aucune
autre preuve pour en être parfaitement, absolument, définitivement assuré.
Après
avoir volontiers reconnu que déclarer j'ai vu … l'évidence, c’est comme
dire que j’ai vu ce qui était en vue… je referme mon dictionnaire…
Je dis que, là, l'évidence, je l’ai sentie pointer - comme on dit que « le jour pointe ».
Comme un
seul rayon du soleil à l'aube, le premier, peut être déjà la promesse d'un
plein jour de lumière et de chaleur, et non pas se réduire à son seul et bref
éclat liminaire, ici, hors de toute réflexion, spontanément, le premier coup
d’œil aura suffit pour que me soit donné le sentiment de tout un monde à
découvrir. Il s'agit bien d'un monde, mais pictural.
Ces
tableaux sont de ceux qui peuvent être… tant de choses, et dans le même temps.
Dès
l'abord, comme des paysages, aussi saisissants, dans leurs matières et dans
leurs contours, que les plus saisissants des paysages qui se sont jamais
présentés à moi.
Mais, s’ils
peuvent si fortement me saisir, c’est peut-être parce que, contrairement à
n’importe quel paysage naturel, ils me sont, eux, de quelque façon, intérieurs ?
…
Alors,
devant ces tableaux, d’abord reçus comme « paysages devant moi », je
« vois », aussi, et sentiments et sensations, et nostalgies profondes
ou fulgurants souvenirs…
Sans doute
est-ce la mémoire, ici, d'espaces ouverts dans toutes leurs dimensions tout
emmêlées... Ce peut être comme si je recevais tous les plans,
perspectives et tonalités, de l'espace, d'un même mouvement...
Et puis : c'est de la peinture !
Je veux
dire : quelque chose dont je peux, dans le temps même où je vais la
« voir » par le regard, comme en sentir le goût au bout de la langue,
ou bien quelque chose que je pourrais toucher comme je touche une peau. Ce
peut-être parfois, presque, une odeur...
Bien sûr,
je ne vais pas lécher, ni renifler, la surface de la toile peinte !
Je ne parle
de rien d’autre, là, que de provocations de réminiscences…
Bien
entendu, un tableau n'est pas un fruit, ni un corps humain, ni
un paysage. Mais il est une présence qui peut être ressentie autrement, mais
aussi intensément ressentie, que celle des fruits que nous avons goûtés, des
corps ou des paysages que nous avons regardés.
Cependant,
pour dire vrai, les tableaux de Van Blime que je découvre dans cette
exposition, s'ils devaient évoquer quelques choses parmi celles qui
nous entourent, elles ne seraient pas à retrouver du côté des fruits et
des corps... mais, plutôt du côté des gouffres et des éruptions, de la foudre
et des cataractes, des obscures forêts traversées par de grands vents, et des
vastes plaines étendues sous l’insondable ciel étoilé...
(Il est
clair cependant qu’aucun de ces tableaux n’est une image-de ; aucun d’eux n’est dans la volonté de re-présenter,
de « figurer » un quelconque spectacle naturel ! Sans doute, pour
le peintre, est-il seulement question de capter, autant qu’il est humainement possible,
quelque chose de l’énergie à l’œuvre dans ces phénomènes ?)
Plus tard,
au cours de ma contemplation de ces tableaux, s’impose une autre évidence :
chacun d'eux est l'aboutissement (ou l’accomplissement ?) d'un moment unique.
Il doit
être consubstantiel à tel moment de l’existence du peintre, et à nul autre.
Aucun ne pourrait ensuite en être la redite. Dans ce moment-là, par son
travail, lui advient ce qui ne pouvait advenir que « ici, et
maintenant ».
(Bien
entendu, je ne connais pas ce peintre. Et, sans doute, on pourra me dire
que : Hé ! là, tu te fais un film !
Soit.
Mais, je
ne vois pas de raison pour que la façon dont je me permets ici de le
"fantasmer" le dérange dans son travail. Et, moi, cela me réconcilie
avec la peinture active... Je veux dire : celle qui se retrouve dans l’actualité.)
Oui, je
crois pouvoir deviner le regard incessamment à l'affût, tourné toujours vers ce
qui pourrait vouloir naître, maintenant, dans la toile tendue au mur ou étendue
sur le sol, et alors s'extraire de la couleur déjà disposée, comme de tout ce
qui y subsiste, encore, de vide…
Oui :
à l'affût, de ce qui voudrait, urgemment, y naître.
Urgemment,
c’est-à-dire : nécessairement.
Jean-Claude
Van Blime : http://jcvanblime.com/galerie/
Exposition
Van Blime
L’énergie
cosmique / Hommage à Soulages et à Zao Wou-Ki
http://www.galeriesaphir.com/exhibitions/20/overview
Galerie Saphir,
69 rue du Temple 75003 Paris
contact@galeriesaphir.com
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