(image : 'Regard intérieur' de Virginie Bel)
Sur le bord ?
On sait qu'une frontière n'est jamais en elle-même, à proprement parler, dans l'un ou l'autre des pays qu'elle
délimite, et que, si telle ligne n’est définie que géométriquement, on peut la
considérer comme sans épaisseur réelle.
Alors, quand nous nous dirions "sur le bord", cela ne dirait rien
précisément du côté sur lequel nous nous tenons.
Ainsi, nous sommes "sur le bord" quand nous sommes entre le rêve
et l'éveil : quand, depuis le rêve, nous visitons notre existence
éveillée, et quand, ensuite, revenus dans celle-ci, nous sommes saisis par ce
que notre mémoire a retenu de ce rêve.
Et les animaux aussi bien, rêvent.
C’est à leur façon à eux, sans doute particulière à chaque espèce - et qui
doit tenir, entre autres, à la richesse de leurs sensations propres, et aux
moyens dont ils disposent pour se représenter ces sensations.
Certes, tous les êtres vivants d'une même espèce "communiquent"
entre eux, selon le degré de complexité de leurs organismes ; cependant,
je ne confonds pas la communication
et la parole.
Or donc, aucun gorille, ni chimpanzé ni bonobo, ne me parle... ce qui s’appelle parler, à proprement parler.
Et je sais que, s'ils ont tous, sûrement "des choses à dire",
celles-ci me resteront, à tout jamais, absolument, inaccessibles.
Cependant, ils sont de toute évidence si proches de ce que nous sommes, que
je peux bien avoir une forte envie, moi, d'une expérience de pensée, par laquelle je me ferais une représentation
- oh, « projection » toute humaine, trop humaine - de ce qu'elle a
dans la tête, celle-là dont je croise le regard dans cette image...
(Oui : je dis "elle" car Virginie Bel, qui a fait ce puissant
portrait, me dit que c'est celui d'une femelle.)
Alors, sans aucun moyen d'engager aucune conversation avec elle,
j'imagine...
J'imagine au moyen d’un intermédiaire : du biais de ce que je peux
penser que nous avons d'assez commun, au moyen des sensations.
Parce que, après tout, l'humain appartient pleinement au règne
animal, non ? Et, avec beaucoup d'autres espèces, nous partageons des
appareils sensoriels bâtis selon les mêmes principes.
*
Comme il s'agit tout de même, ici, de faire de la musique..., je ne me suis
imaginé des sons... Quels sons pourraient occuper la rêverie de notre gorille
pensive ?
Il s'agissait ensuite de décider si "naturalisme bruitiste" il y
aurait ?
Négatif ! Il s'agissait en effet de composer la matière de ce qui
devrait être de l'ordre du rêve.
Donc, le seul usage d'instruments, très "musicaux", s'est vite
imposé.
A part ça ? Techniquement ?
Les sons d'origine ont été pris à des banques éditées par UVI : "Ircam" pour les bois (flûte,
clarinette et basson) et la contrebasse ; "Orchestra" pour les timbales et les gongs 'classiques' ; et
"World" pour une percussion
exotique (birmane).
Le matériel harmonique est évidemment constitué tout entier par une gamme
pentatonique, la japonaise 'yo', assez identifiée comme celle « des
touches noires »...
Les figures rythmiques sont moins traditionnelles, puisque toutes dérivées
d'une "série" de durées (3-4-5-7).