Café Society
... Ce Woody Allen... comme il sait
parler de la légèreté (insoutenable) avec sérieux, sinon avec pesanteur, mais
surtout, comme il sait parler de toutes nos pesanteurs avec légèreté... ou,
autrement dit, comme il montre la surface avec profondeur, et comme il parle des
profondeurs avec... avec tout ce qui peut en remonter à la surface, pour être,
ainsi, gravé dans l'image cinématographique.
Il peut ainsi nous parler de tout, c'est-à-dire tout
nous montrer à l'écran du tout de l'existence : la vie la mort, et l'amour et
la fidélité et le désir, les ambitions et le renoncement, et de la métaphysique
et des vanités…, mais c’est toujours, tout ça, avec « l'air de ne pas y
toucher ».
Ce peut être d’abord par la grâce d’une
fluidité dans le récit – telle que l'on peut ne même pas ressentir que, là devant,
c'est qu’un type qui nous raconte une histoire...
Mais ça, ce doit être juste l’élégance
du virtuose qui n'étale pas sa virtuosité – parce qu’elle est depuis longtemps
devenue spontanée : sûreté du casting, évolutions des acteurs, cadrage juste et
montage évident, agencement du scénario, etc.
Non, cette discrétion de la présence
d'un auteur – qui n’est en rien une absence de style ! –, cet « air de ne pas y toucher », il doit
aussi, plus essentiellement, provenir d’une distance
assumée.
© GC Images
Au cinéma, comme au théâtre ou dans
la littérature romanesque, dans toute œuvre dramatique conséquente, un des motifs
du contenu doit être la distance entre
l'auteur et ses personnages. Il faut alors éviter l’erreur de ne considérer cette
distance que comme « effet à faire »,
ou comme « truc » de conteur. Que l'auteur en personne semble monter
sur scène, ou se montrer à l’écran, plus
ou moins artificieusement, qu’il se dévoile symboliquement par l'intermédiaire
de la voix off, ou sous le masque plus ou moins transparent de l'un de ses
personnages, ou bien qu’il se manifeste comme démiurge au travers des destinées
qu'il leur fixe, aux uns et aux autres (en récompensant les gentils et en
punissant les méchants, par exemple), cette
distance – morale – est là partout, dans le moindre mouvement de travelling
comme le dit un autre...
L’humour, dans les films de Woody Allen, ne doit pas être
compris comme une des « spécialités de la maison » ! Il n’est qu’un
des modes de manifestation, parmi d’autres, de cette distance-là.
Cette distance que Woody Allen fixe et
maintient entre son activité d’auteur conscient, et les parcours de ses
personnages, cette distance me convient exactement. Et c'est pourquoi, sans
doute, j'aime, en profondeur, ses
films. Cela n’a pas besoin d’être plus raisonné que ça.
Cette distance, c’est elle, en
définitive, qui produit cette tension particulière à son œuvre – qui vient de
ce que les personnages sont bien décrits, en fait, tels qu'ils jouent leur vie,
mais... sans pathos démonstratif, sans graisse psychologique. C’est ainsi que, en
définitive, le conteur se tient en quelque sorte sur un pied d'égalité avec les
personnages du conte – et de même, par conséquent, dans le temps du spectacle, le
spectateur.