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mercredi 19 octobre 2016

UN REFLET DEVANT SOI FLAGRANT




- Étant donné... une image étant donnée..., cette image, que vous voyez là :



- Une autre (*), encore proposée pour servir de motif à une composition musicale ?
- Oui, et toujours aussi librement, dans sa forme, son style, son genre. Il est seulement attendu que le morceau soumis sera « original », c’est-à-dire qu’il devra avoir été composé entre le 1er et le 23 octobre 2016 : http://fr.audiofanzine.com/projets-collectifs/news/a.play,n.34228.html
- En définitive, la seule contrainte demeure l’échéance pour rendre sa copie ?
- Oui, et que le contenu de celle-ci soit « en rapport » avec l’image.
- L’image… Elle n’est pas banale. Quel est son auteur ?
- Giorgia Napoletano. On la trouve ici : http://giorgianapoletano.weebly.com/
- Composer de la musique « à partir » d’une image ?
- Vous vous demandez comment cela est possible ?
- Non, pas vraiment. Ce n’est pas la « possibilité » qui me semble problématique. On peut faire n’importe quoi à partir de n’importe quoi. Je veux dire que n’importe quoi peut provoquer une émotion, un désir, ou une réflexion… et que ces mouvements du sentiment, de la volonté, de l’entendement, ils peuvent eux-mêmes provoquer, chez certains d’entre nous, un besoin de créer des formes qui en seront, d’une façon ou d’une autre, comme des « expressions », formes elles-mêmes destinées à provoquer, chez ceux qui les recevront, émotions, désirs et réflexions…
- Oui, c’est le cycle de l’art…
- Comme il y a un cycle de l’eau… qui sourd de la terre, qui coule vers l’océan, qui se sublime en vapeur qui se condense en nuages qui s’épanchent en pluies qui arrosent la terre avant de la pénétrer, et d’en revenir, en sources…
- Le « cycle de l’art » serait-il aussi vital que le cycle de l’eau ?
- Cela dépend où l’on place le principe du vital… Mais c’est trop de généralités.
- Vous avez raison. Restons pratiques.
- Alors, vous pourriez me dire comment vous avez « reçu » cette image ?
- Sans doute. Quoique… Elle me semble avoir tellement de « couches » que je suppose que certaines m’échappent. Je veux dire que, pour une part au moins, elle doit agir en moi en catimini…
- Mais, pour nous en tenir à ce qui vous serait assez clairement conscient ?
- A vrai dire, une image, ce doit d’abord être évident. Dans le sens premier du terme. Tout ce qui s’y trouve, ce ne doit être rien d’autre que ce qui s’y trouve en vue.
- Vraiment ?
- Oui, pour le reste, ce ne sont que nos interprétations…
- Mais, aussi évidente par elle-même que soit cette image, ses interprétations ne peuvent-elles pas être au moins aussi intéressantes que l’image qui les supporte ?
- Quoiqu’il en soit, le problème vient de ce que, souvent, la mécanique des interprétations se met en branle bien avant que l’on se soit donné la peine de simplement regarder l’image, elle-même. On la glose avant même d’avoir fait un premier tout de ses évidences.
- C’est dommage.
- Oui. Mais non ! Pas nécessairement : après tout, une image qui passe devant nos yeux, elle n’est souvent qu’une bribe, perdue parmi ces multitudes d’informations que nous recevons continuellement. Il n’y a aucune nécessité de principe à y prêter une attention particulière – si elle n’a pas déclenché spontanément l’envie de s’y arrêter.
- Mais, celle-ci, cette image dont nous parlons ?
- Oh, celle-ci ! Elle s’y est bien incrustée, dans mon attention. Et, avant qu’il soit besoin d’aller creuser dans mon intimité (subjective), je peux – objectivement – constater qu’elle a mis en évidence ces éléments : une jeune femme brune aux cheveux longs, habillée de noir, portant une boucle à l’oreille et une montre à son poignet gauche ; elle porte à deux mains une image, qu’elle présente frontalement à l’objectif d’une façon assez élégante, délicate, en la tenant presque du bout des doigts ; cette image est celle d’une tête de mort.
- Une image dans l’image ?
- A première vue… je pense à un reflet. Le reflet serait alors celui crâne placé devant la jeune femme, et comme la dévisageant. Mais, et c’est là où ça devenu intéressant, de mon point de vue : ce n’est pas si évident, qu’il s’agisse d’un reflet. Je crois que ce qui est mis en évidence ici, c’est justement un défaut d’évidence. Etes-vous bien sûr qu’il s’agit là, vraiment, d’un reflet dans un miroir ?
- Vous voulez dire que ce pourrait ne pas être un miroir, mais, sans doute, une vitre, derrière laquelle se tiendrait de la jeune femme, puisque l’on devine en partie sa silhouette au travers ?
- Oui, peut-être une vitre, mais sur laquelle aurait été plaquée une image découpée – une peinture ou une photographie. L’image d’un crâne ?
- Le dispositif scénique est tel que ce crâne est placé pour correspondre à l’emplacement de la tête de la jeune femme Mais il est clair, aussi, que ce n’est pas « calé » de façon si exacte que l’illusion soit bien assurée ! Non, décidément, non seulement ce crâne ne peut pas être celui – comme radiographié – de la jeune femme, mais j’ai même la sensation qu’il est, ce crâne, celui de l’un de nos très anciens ancêtres. Quelque chose de quasi préhistorique…
- Vous avez raison. Je n’avais pas vu ça… Toujours est-il qu’il y a présence d’un crâne humain. L’évidence d’une tête de mort. La mort, donc, est objectivement présente dans cette image - quelque soit la façon dont ensuite, pour soi, on considère la mort dont il serait ici question.
- Et puis, là, il ne s’agissait que de composer de la musique. Et ? ça a donné quelque chose ?
- Oui, ça a donné ça :

https://soundcloud.com/user-101895035/un-reflet-devant-soi-flagrant

- Je vois le titre : UN REFLET DEVANT SOI FLAGRANT…
- Oui, ces quelques mots se sont imposés immédiatement. Et ils ont été comme un « programme ». Mais non pas trop explicite, bien sûr.
- J’imagine… La formule est un peu… abstraite ?
- Oui. En même temps, c’est assez peu théorique : c’est bien devant soi, c’est un reflet, et c’est flagrant. Je veux dire que, en définitive, j’ai résolu que c’était un reflet. Il est flagrant que c’est un reflet, d’une façon ou d’une autre… et qu’il est devant soi.
- Je me demande si votre indication de cette « flagrance », ici, n’est pas un peu… ironique ?
- C’est bien possible… Après ce que je vous ai dit de l’indétermination de la chose.
- Cependant, comment êtes-vous donc passé de ces considérations, heu… littéraires, à de la musique ?
- Par des concepts. Comme la sensation de cette image, pour moi, s’était finalement comme cristallisée dans l’idée du reflet, du miroir reflétant le Temps…
- Le Temps ? Ah… oui… la mort.
- Oui, bien entendu. La mort, qui n’est qu’une manifestation, parmi d’autres, du Temps. D’ailleurs, j’en vois ici une autre illustration, du Temps.
- La montre au poignet de la jeune femme ?
- Oui, assez anecdotique sans doute. Ce que je vois, et ressens, surtout, c’est la surface du miroir. Avez-vous remarqué comme elle semble corrompue ? Une surface si défaite, décomposée, que le miroir en est devenu aussi translucide là que pulvérulent ici ?
- Je vois. Mais, alors, les concepts, disiez-vous, pour provoquer la musique ? Mais, le sentiment ?
- Non. Là, je ne fais pas de sentiment !
- …
- Vous savez, faut-il le rappeler : la musique ne "signifie" rien. Pour dire ça de manière très générale : la musique ne fait que nous mettre en présence d'une Forme. Et ce sont les façons dont cette Forme nous touche, qui nous font parler - et, donc, "signifier".
- En d’autres termes, ce serait la façon dont nous en parlons, de la musique, qui serait seule signifiante ?
- Exactement ! Bien entendu, nous pourrons parler, par exemple, des sentiments qu’elle provoque en nous. Mais elle-même, elle ne peut-être « sentimentale » ! C’est l’usage que nous en faisons qui peut l’être. Mais elle-même ? Elle peut être modale ou sérielle ; elle peut être « en mineur » ou « en majeur », si elle est tonale ; elle peut être à 6/8, ou bien contenir une pulsation complètement déstructurée ; elle peut être « de chambre », ou « symphonique », etc.
Mais dire qu’elle peut être par elle-même, par exemple, « sentimentale »…
Non, ça n’a pas de sens.
- D'un autre côté, c'est une image qui vous était ici proposée. Les images, elles-mêmes, ne peuvent-elles "signifier" ?
- La situation de l’image est autre. Bien sûr, les images aussi sont des Formes, qui nous touchent comme telles. Ou pas. Et de cela, de la façon dont la Forme, en elles, nous atteint, ou non, nous pourrions parler aussi. Et nous ne devrions pas nous en priver, d'en parler ! Surtout quand  il s'agit de "faire de la musique à partir d'une image". Mais il est certain que nous sommes, spontanément, plus souvent touchés par leur contenu, je veux dire : par ce qui est représenté par l’image, par son référent dans notre expérience de la réalité. Si nous voyons un reportage sur des scènes violentes, c’est sûrement la violence elle-même que nous ressentirons d’abord. Si nous voyons la photographie d’une plage ensoleillée, l’image elle-même se fera en quelque sorte transparente : au travers, nous ne ferons qu’halluciner nos futures vacances, non ?
- Mais, si j’ai bien suivi, la musique, ici, n’a pas vraiment été informée par le sentiment – de la mort, ou du temps.
- Non. Uniquement par une « idée » du Temps. Et par cette autre « idée », conséquente, que, pour appréhender la réalité du Temps, nous ne pouvons faire appel qu’à ses reflets. Qu’il faut lui tendre un miroir. Et que ce miroir, nous devons le tenir, légèrement mais fermement, de nos propres mains.
- Et ça se « formalise » musicalement ?
- Oui.
- Mais comment ?
- Est-ce bien intéressant d’en parler ici ? Le Temps, il est déjà comme inclus d’office dans toute manifestation musicale, non ? J’ai juste insisté un peu, sur cet aspect, en utilisant prioritairement des processus « répétitifs ». Mais, que la boucle répétée suive le schéma 3/3/2, ou en dérive, de savoir ça, ou ce genre de chose, est-ce bien utile à l’auditeur ? Est-ce si intéressant de savoir… que j’ai mis en œuvre quelques structures suivant le modèle « en miroir », aussi ancestral, d’ailleurs, que toutes les autres structures construites sur le principe de l’imitation : transposition, renversement ou mouvement rétrograde ?
- Ce qui est en bas se retrouve ensuite en haut, ce qui était au début se retrouve à la fin, ce genre de choses ?
_ Oui, ce genre de choses…

https://www.youtube.com/watch?v=VCmSGX0ozmM

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