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lundi 28 mars 2016

HIERONYMUS

...


 
« Mes Dames et mes Sieurs, damoiselles et damoiseaux,  jouvencelles et jouvenceaux, votre attention, s'il vous plaît. Toute votre attention.
Une tempête propice - enfin ! - nous atteindra bientôt ; la météo de 20 heures nous l'annonce ; elle nous l'a promise. C'est pourquoi le Capitaine a décidé qu'il était temps que tous les passagers quittent la salle d'attente et se dirigent vers le quai, afin de pouvoir embarquer à l'appel de leur nom. Que les valides se chargent des impotents, vieillards et nourrissons - et tout se passera le mieux du monde.
 »
 
Et tous les membres de l'équipage de se relayer pour faire l'appel, et jours et nuits,
et pendant un nombre de jours incalculable, et pendant des nuits en nombre mathématiquement et logiquement également innombrable.
 
Et chacun, à son tour, de répondre de sa présence, à haute et intelligible voix :
ceux qui n'espèrent rien que l'oubli et ceux qui attendent toujours demain
et ceux qui prétendent pouvoir capturer la foudre ;
 
ceux qui se cachent parce qu'ils ont tout perdu,
comme ceux qui s'exhibent à la foule dès qu'ils l'entendent clamer qu'ils ont tout gagné ;
 
celui qui était prêt à trahir son ami, ou son dieu, afin d'empocher trois sous,
et cet autre qui aurait donné sa vie pour rien ;
 
ceux qui se sont épuisés, à vouloir être toujours plus forts,
comme ceux qui s'économisent encore, dans l'espoir de ne jamais s'affaiblir ;
 
celui-ci, qui a délaissé femme et enfants pour être le premier à démontrer la quadrature du cercle ; celui-là qui, au retour d'une trop longue chasse, a oublié où il avait rangé ses carnets d'esquisse ;
 
ceux qui veulent tout savoir sur tout comme ceux qui ne veulent rien savoir sur rien ;
 
celui qui joue la vie aux dés à chaque carrefour,
et celui qui est incapable de respirer sans porter de gants ;
 
celui qui n'a vécu que pour détruire, et celui qui devait tuer pour vivre ;
 
celui-ci, qui, le gourdin dressé, arpentait le jardin d'enfants ;
 
et cet enfant aux boucles blondes qui, avec soin, épingle un scarabée ;
 
et celui-là dont les rêves ne cessent d'être tapissés de myriades de corps d'hérétiques déchiquetés,
et celui-ci qui espère la résurrection des morts ;
 
et Thérèse qui se saigne et Jack qui éventre ;
  
les baudruches qui se flagellent et les triques qui se dilatent ; 
 
ceux dont les orbites sont tout de suite obstrués par la moindre protubérance de viande
passant à proximité ;  et ceux qui déjà serrent les fesses à la première menace d'un sourire ;
 
et ceux qui ne pensent qu'à ça et ceux qui ne pensent à rien ;
 
ceux qui voudraient bien rester enfouis à rêvasser entre leurs draps moisis ;
et ceux qui, refusant le sommeil, s'il le faut se crucifient pour tenir debout ;
 
ceux qui trouvent, même sans avoir jamais rien cherché,
comme ceux qui cherchent, parfois sans jamais rien trouver ;
 
ceux qui savent et ceux qui croient, et ceux qui croient savoir et ceux qui savent qu'il faut croire ;
 
ceux qui veulent tout, tout de suite,
et ceux qui ne désirent jamais rien ;
...
et celui-ci et celui-là.
Tous, ceux qui sont toujours contents d'être content,
et ceux qui ne sont jamais heureux de pouvoir encore souffrir,
tout ceux qui veulent n'aimer que pour toujours,
et tout ceux qui croient qu'une seule nuit d'amour peut ne pas être pour toujours,
tous, ceux que la sagesse rend fous, et les fous qui enseignent leur sagesse,
ont-ils maintenant tous embarqués ?
 
 
Sans doute : enfin sur le quai ne se voient d'autres êtres animés que canettes de bière
et papiers gras, roulés, soulevés par le vent.
 
Et le Capitaine de se tourner vers son tenant lieu qui, parce que la plus belle entre toutes
parmi toutes ses soeurs et belles-soeurs l'élue, se trouve être une lieutenant :
 
« Anne, je te prie, Anne, fais-moi savoir quand nous pourrons lever l'ancre. »
 
Et Anne, la sainte, et la plus belle possible des lieutenants possibles, de répondre :
 
« Capitaine..., Hieronymus, mon beau capitaine,  j'ai beau scruter toute la Terre dans toutes ses directions
et jusqu'au plus lointain de tous ses horizons, il n'est plus un être humain vivant qui y soit visible. »
 
Alors, ancre levée et toutes les machines poussées, et laissant enfin la Terre toute vide,
la Nef de Tous les Fous peut donner plein cap sur la tempête.
   


                                                                                                                           (3 mai 2002)

dimanche 27 mars 2016

COMME CHIEN ET CHAT



… COMME CHIEN ET CHAT ?


Là, il ne suffisait pas de passer, encore fallait-il, un instant, dérouter son regard : débouchant à angle droit sur la rue, une impasse se découvrait.

On en mesure la longueur d’un coup d’œil : il ne faudra pas bien longtemps pour l’arpenter dans son entier.

Brève, étroite, composée d’une succession de maisons particulières, elle est dénommée ‘Villa’, comme beaucoup du même genre, assez répandu dans ces arrondissements excentrés.

Souvent, disposé perpendiculairement à la circulation, le devant des corps d’habitation y fait face à un jardin, dans lequel on doit s’engager pour avoir accès à la maison. Pour le passant, la plupart du temps, ce sont donc les clôtures de ces jardins, composées principalement de grilles festonnées plantées sur de petits murets, qui forment les façades des maisons.
Ici, à un certain endroit, se faisant face de part et d’autre de la voie, en parfait vis-à-vis, deux clôtures assez parfaitement jumelles, sinon que l’une est aussi uniformément rouge que l’autre est uniformément bleue. On peut remarquer que, des deux côtés, la couleur de la clôture est parfaitement accordée à celle des volets…
Mais ce qui peut retenir l’attention, ce sont les messages affiché sur l’une et l’autre porte.
Il ne faut pas, distraitement, n’y voir rien d’autre que ce l’on croit qui serait à voir à cet endroit…






Ensuite, ayant repris notre route, nous pourrons nous poser la question : 
les habitants respectifs de ces deux demeures seraient-ils « comme chien et chat » ?

A vrai dire, je les suppose plutôt… « copains comme cochons ».
Mais, ce n’est rien d’autre qu’une supposition.







 






jeudi 3 mars 2016

QUADRIPARTITE - Nicolas Hermann

   
(à propos d’une suite de photographies de Nicolas Hermann, la série inside


1_ APPROCHE

Il m’a semblé

Elles étaient comme de ces images 
                                                          que l'on peut extraire
 
                                     d'un rêve... ou plutôt
                    - plus précisément - apparaissant
                       comme apparaissent
               de ces souvenirs
D'un rêve,
                      tels,
à peine je me suis détaché du sommeil. 

Ils me semblent - les rêves – tous
devenir insaisissables absolument,
dans leurs durées propres, leurs couleurs et pesanteurs
 
                                           exactes... toutes perdues
À jamais 
(À peine je me détache du sommeil.)

Ce n'est pas que ma mémoire défaille ;
Ce n'est que l'effet d'une incompatibilité - métaphysique -
 
Mortelle, toujours, entre cet air que nous respirons dans le rêve,
Et celui qui nous est nécessaire (pour survivre une fois rendu à la veille)
Par ailleurs.

C'est pourquoi nul rêve - tel qu'en lui-même -  
                                    ne pourra jamais mieux survivre, après
(le moment de notre réveil),
                                    qu'un poisson maintenu hors de l'eau.
Demeurent ces images 
donc, qui ne sont pas faites - du tissu -
                                            des rêves mêmes, 
seulement de leurs souvenirs.

(C'est ainsi, parfois, que l’on pense "rêver éveillé"
quand certaines images nous traversent, et reviennent,
et obstruent tout passage vers ce qui est hors de nous, et nous interdisent
d'aller, là
               où nous pourrions encore rencontrer
d'autres que nous-mêmes, autre chose
qu’un de nos reflets.)


*
Et dans cette image :



Dans cette image-là ?

Entre ma pleine conscience diurne et une sensibilité nocturne devinée, 
il m’a semblé possible d’y voir
plus qu’une coïncidence : une possibilité de coexistence… ou du moins
comme une correspondance… 

2_ UN DIALOGUE :

- Voir une image, d’abord, comme elle est devant soi. Ensuite, plus tard, son souvenir ; le retour de l’image, sa persistance – relative… Ce retour de l’image comme devant soi, mais aussi, parfois, le retour des circonstances dans lesquelles elle a été vue…

- Est-ce l’image elle-même, qui revient ? Ou bien ce réseau d’émotions que la présence de l’image devant soi avait provoquées ? N’est-ce pas ce réseau, qui se reforme ?

- Selon la capacité de notre mémoire, et la qualité de l’attention portée à l’image quand elle était devant nous, le souvenir de ses aspects visibles, descriptibles, peut être assez complet.

- Oui, nous pourrions les décrire assez fidèlement – aussi fidèlement qu’il est possible aux mots… Mais l’émotion ? L’émotion, provoquée par une image est, de quelque façon, insondable.

- Insondable, vraiment, l’émotion ? N’a-t-elle pas de fond ?

- Ou bien : nos instruments ne sont-ils pas à la mesure de sa profondeur ?

- Non, sans doute il faut bien qu’elle ait un fond, sur lequel elle peut s’appuyer pour résonner en retour, pour nous irradier – jusqu’à nous emporter entièrement parfois, semble-t-il…

- Pour en atteindre le fond, notre intelligence n’est peut-être pas le bon outil… Ou du moins, pour remonter jusqu’à sa source, il faut plus de finesse que de géométrie…

- Insondable ? Si nous pensons que seuls les mots nous permettent de découvrir le « fond des choses », de ce qui est éprouvé dans l’émotion ?

- De telle émotion éprouvée, on ne peut jamais dire ce qu’elle est. On peut juste constater - que l’on est ému…

- Seule une émotion serait donc à la mesure d’une autre émotion ?

- Oui… C’est-à-dire : pour en prendre la mesure, il faut nous confier au Poème…

- Parce qu’il peut, par lui-même, provoquer une émotion ? En quelque sorte analogue ?

- Oui. Le Poème dans tous ses avatars : la musique aussi, comme la peinture… ou la photographie… Toutes les formes, tous les arrangements de formes (lues ou entendues, ou vues) qui constituent par eux-mêmes des situations, elles-mêmes capables de provoquer une émotion.
- Admettons que l’émotion (que provoque par l’image) est insondable… Cependant, l’image, dans ses aspects visibles, n’est elle-même - fatalement – qu’un ensemble fini d’éléments finis ?

Oui : d’éléments graphiques et chromatiques discernables et objectivement quantifiables ; un ensemble fini, ou du moins finissable, pour peu que l’on s’en donne la peine, ou le plaisir…


3_ LE TEMPS

Parce que son aspect semble toujours égal à lui-même, une photographie (de même une peinture ou une sculpture, etc.) peut prétendre se tenir hors du temps. Pourtant, elle ne peut être (être elle-même) que dans le temps si, comme toute œuvre, la condition de son existence n’est que dans sa réception, une fois au moins par au moins un spectateur.

Alors, le temps de l’œuvre coïncide avec le temps de l’existence de ce spectateur. (C’est l’existence au cours de laquelle les choses doivent bien lui apparaître, se découvrir, être suivies puis délaissées… Parfois, plus tard, reprises. Ou bien, ce sont certaines choses qui l’auront ressaisi, et pourront être alors redécouvertes - sous un jour nouveau, comme on dit, que leur renouvellement provienne de ce que les circonstances paraîtront les avoir transformées, ou bien de ce que le spectateur les aura abordées en suivant un autre parcours, ou de ce que ses souvenirs lui auront fait croire qu’elles étaient tout autre dans le passé…)

Finalement, l’œuvre est assimilée au résultat de la sédimentation des différentes couches de sa réception, déposées chacune, avec son début et sa fin, comme tous les moments de l’existence de son spectateur.

Quant au temps… Après que Nicolas Hermann m’a fait découvrir ces quatre photographies assemblées, plusieurs semaines sont passées, pendant lesquelles je suis resté sans les avoir sous les yeux.

Il n’y avait donc devant moi que cette image, reçue une fois en plein éveil, et dans une expérience consciente d’elle-même, mais, depuis, seulement comprise par la seule réflexion, raisonnée ou intuitive, de ce que ma mémoire seule pouvait m’en rapporter.

4_ LE SOUVENIR

Je n’étais plus face à l’image mais
à son souvenir seul
seulement à ce que ma mémoire avait retenu
de ce que j’en avais vu
maintenant
il y a quelque temps.

Si l’on se tient face à telle image – d’elle, un aspect nouveau
à chaque instant peut toujours se révéler,
auquel on avait pas pensé,
que l’on ne pouvait pas chercher parce que
on ne pouvait pas s’attendre à l’y voir.

Par l’image, celle-là devant soi que parcoure le regard,
devant soi parmi les objets devant soi et autour de soi,
toujours une surprise peut venir
à tout instant
alors que, s’il s’agit de la retrouver - l’image comme elle a été devant soi –
par le seul moyen de notre mémoire,
(lorsque seul peut nous impressionner encore le souvenir
de ce moment pendant lequel elle a été devant soi tenue)
alors,
quelle surprise pourrait encore longtemps en venir ?

A la fin, ce que l’on peut encore observer, ce n’est plus rien
que soi-même. Alors, ce n’est plus rien qu’en soi-même
qu’il peut rester quelque chose à observer…

Mais, quant à découvrir encore longtemps de nouvelles profondeurs
dans l’image-même…
Non, il faut absolument la voir à nouveau, là devant soi
la trouver une nouvelle fois pour la découvrir à neuf

Soudain, c’est comme une fringale.


5_ QUATRE

Quand nous regardons ces photos, peut-être voyons-nous d’abord que nous en voyons… plusieurs. Quatre, précisément, immédiatement distinctes l’une de l’autre, mais simultanément, et dans un certain ordre assemblées sur la même page.

Parmi les « plusieurs-qui-font-un », il y a la série, le découpage…
Quant au découpage, ce n’est qu’une image que l’on a mise en morceaux - comme, par exemple, lorsque l’on pointe une lorgnette sur les différentes parties d’un vaste paysage, successivement, pour le détailler plus aisément.
Sur son site http://www.nicolashermann.com/, Nicolas Hermann présente cet ensemble sous le label « série »... en lui donnant ce titre : inside

http://www.nicolashermann.com/series/inside/

Cependant, pour ma part, si je pense la ‘série’, c’est comme une répétition agissant, d’une façon ou d’une autre, comme celle d’un thème unique entre ses variations multiples.
Mais comme je ne vois pas, ici, de répétition à chercher, non plus qu’un morcellement, je dis qu’il s’agit d’un polyptique : simultanément à la perception d’une multiplicité (de parties), il y a l’appréhension d’un tout, d’un ensemble, d’une unité. Et, dans ce tout, chacune des quatre parties, au fur et à mesure que mon regard passe de l’une à l’autre, se propose comme un « tout par elle-même ».

Mais si le terme « polyptique » semble trop rébarbatif, je peux utiliser celui de « suite »… Dans cette suite, donc, ce qui oriente mon regard est ce qui passe entre ces quatre images ; ce qui passe… de chacune des parties vers le tout, ou vers la partie de ce tout dans laquelle elle est incluse.
Le va-et-vient entre la distinction des parties - telles qu’elles peuvent former le tout - et la saisie du tout - tel qu’il éclaire chacune des parties…

Ces passages d’abord sont obscurs...

D’abord, dans le « temps » même de la perception de cette image quadripartite, alors que je suis éveillé, autant qu’il m’est possible, à tout ce que je peux regarder devant moi et écouter autour de moi, se produit simultanément l’entente d’autre chose… D’autres sons ? Comme ceux d’un remuement souterrain ? Et se répand sur les choses une autre lumière, dont les choses elles-mêmes seraient la source… Et puis j’y respire cet air… dans lequel je crois reconnaître celui qui n’est respirable que dans le rêve.

Pourtant, l’intensité de cette sensation ne vient en rien de ce que l’objectif aurait ici capté des spectacles à proprement parler « fantastiques », « oniriques »… Certes, sans même compter l’usage du flash, qui ne donne pas un éclairage très « naturel », ce n’est pas là un reportage fait au coin de la rue, et sans doute les personnages ont été disposés à la volonté du photographe…

Cependant, ce couple enlacé, le vieil homme nous tournant le dos en se bouchant les oreilles de ses deux mains, ou le jeune garçon bondissant par-dessus un cours d’eau, aucune de ces figures n’est vraiment extraordinaire. Quant à cette femme qui semble s’extraire douloureusement d’un étroit passage entre deux murs, son apparition peut être improbable mais non pas irréaliste. Non, là, il ne se trouve rien que l’on ne pourrait pas voir « dans la réalité ».



© Nicolas Hermann 2015

Longtemps, la photographie a été le parangon de l’image « ressemblante ».
Une photographie est encore souvent comprise, plus ou moins naïvement, comme une pure et simple présentation : une image de quelque chose, de telle chose contenue dans le monde visible, mais, sinon tout à fait identique, du moins suffisamment  équivalente, en quelque sorte, à cette chose elle-même. (Et, d’ailleurs, il n’est pas interdit de profiter, et de se contenter, selon les circonstances, de ces vertus informatives de la photographie - dans le reportage, la documentation, l’album de famille, etc.)

Il y a une autre pratique de la photographie, dont la vocation est, par la grâce des moyens proprement photographiques, de produire une image qui soit visible-comme-réalité, et qui puisse s’ajouter à tout monde déjà visible. Cependant, il doit être entendu que, parmi les moyens proprement photographiques, figure toujours la capacité à capter les aspects « objectifs » de tout ce monde-déjà-visible.

En conséquence, tous les éléments qui sont extraits de ce monde-déjà-visible, pour être inclus dans l’image photographique, ne doivent pas être considérés uniquement comme une brute matière première, comme rien d’autre que le support d’une métamorphose (photo)graphique. C’est parce qu’ils sont là, dans l’œuvre photographique, dans l’image, aussi pour ce qu’ils sont dans la réalité visible, qu’ils peuvent y « parler poétiquement ».

6_ POÉTIQUEMENT

Je me dirige vers ce qui passe entre ces quatre images, mais aussi, dans le même temps, vers ce qui se passe alors en moi - en moi qui regarde et voit ce qui passe entre ces images…
(Ces passages d’abord sont obscurs...)
Cependant, d’abord assez en évidence semblent les passages entre « figure » et « fond » : dans chacune des quatre parties de la suite, n’est-ce pas un même type d’accord qui sonne entre les figures, assez fortement éclairées, nettement contournées, identifiables, et les fonds, plutôt sombres, aux textures plutôt fluctuantes, de natures plus incertaines ? Et aussi du fait que toutes les figures ici sont humaines, et tous les fonds comme des murs dressés pour fermer tout accès à un horizon ?


© Nicolas Hermann 2015

Ensuite, si chacune des parties peut jouer avec chacune des autres, et chacune avec l’ensemble dont elle fait partie, c’est aussi, peut-être, et entre autres raisons, parce que chacune peut être rapportée à une forme géométrique élémentaire particulière : une torsade verticale, un jet suivant une diagonale, une sphère qui s’enferme, ou la ligne brisée de l’éclair…

Mais d’autres accords peuvent aussi se former entre des harmoniques plus secrètes, provenant d’un dispositif graphique moins directement apparent, et comme encloses plutôt dans l’agencement des significations…

© Nicolas Hermann 2015



De même qu’à la lecture d’un texte on n’est pas seulement conduit à épouser le rythme de la phrase, à suivre les jeux de sonorités et d’allures, mais aussi à s’exposer à des significations plus explicites, devant une photographie, hors de l’impact d’un cadrage, d’un rapport de valeurs, ce que nous y identifions des figures et de leurs mises en scène peut aussi nous « parler »…

Ainsi, quand ce que nous y voyons, c’est le vieil homme qui tente désespérément de s’isoler de tout ce à quoi il tourne le dos, au regard de ce jeune homme et de cette jeune femme enlacés, qui nous découvrent les traits de leur visage - comme à vif…
Quand ce sont des nudités vulnérables qui affrontent des extérieurs si âpres…
De même, si l’on voit la figure du jeune garçon, tel que saisi dans son bond, dessiner une certaine diagonale dans le cadre, l’orientation de la ligne ainsi marquée peut être agissante à sa façon : mais cela doit aussi avoir aussi une signification – autre que seulement allégorique - que ce soit un jeune garçon qui y soit reconnaissable, et non pas, par exemple… un jeune chien ?

Etc.

Mais que veut dire « signifier », quand il s’agit de ce que peut faire une image ?


© Nicolas Hermann 2015


*