...
« Mes Dames et mes Sieurs, damoiselles et
damoiseaux, jouvencelles et jouvenceaux, votre attention, s'il vous
plaît. Toute votre attention.
Une tempête propice - enfin ! - nous atteindra bientôt ; la météo de 20 heures nous l'annonce ; elle nous l'a promise. C'est pourquoi le Capitaine a décidé qu'il était temps que tous les passagers quittent la salle d'attente et se dirigent vers le quai, afin de pouvoir embarquer à l'appel de leur nom. Que les valides se chargent des impotents, vieillards et nourrissons - et tout se passera le mieux du monde. »
Une tempête propice - enfin ! - nous atteindra bientôt ; la météo de 20 heures nous l'annonce ; elle nous l'a promise. C'est pourquoi le Capitaine a décidé qu'il était temps que tous les passagers quittent la salle d'attente et se dirigent vers le quai, afin de pouvoir embarquer à l'appel de leur nom. Que les valides se chargent des impotents, vieillards et nourrissons - et tout se passera le mieux du monde. »
Et
tous les membres de l'équipage de se relayer pour faire l'appel, et jours et
nuits,
et
pendant un nombre de jours incalculable, et pendant des nuits en nombre
mathématiquement et logiquement également innombrable.
Et
chacun, à son tour, de répondre de sa présence, à haute et intelligible voix :
ceux
qui n'espèrent rien que l'oubli et ceux qui attendent toujours demain
et ceux qui prétendent pouvoir capturer la foudre ;
et ceux qui prétendent pouvoir capturer la foudre ;
ceux
qui se cachent parce qu'ils ont tout perdu,
comme
ceux qui s'exhibent à la foule dès qu'ils l'entendent clamer qu'ils ont tout
gagné ;
celui
qui était prêt à trahir son ami, ou son dieu, afin d'empocher trois sous,
et
cet autre qui aurait donné sa vie pour rien ;
ceux
qui se sont épuisés, à vouloir être toujours plus forts,
comme
ceux qui s'économisent encore, dans l'espoir de ne jamais s'affaiblir ;
celui-ci,
qui a délaissé femme et enfants pour être le premier à démontrer la quadrature
du cercle ; celui-là qui, au retour d'une trop longue chasse, a oublié où il
avait rangé ses carnets d'esquisse ;
ceux
qui veulent tout savoir sur tout comme ceux qui ne veulent rien savoir sur rien
;
celui
qui joue la vie aux dés à chaque carrefour,
et
celui qui est incapable de respirer sans porter de gants ;
celui
qui n'a vécu que pour détruire, et celui qui devait tuer pour vivre ;
celui-ci,
qui, le gourdin dressé, arpentait le jardin d'enfants ;
et
cet enfant aux boucles blondes qui, avec soin, épingle un scarabée ;
et
celui-là dont les rêves ne cessent d'être tapissés de myriades de corps
d'hérétiques déchiquetés,
et celui-ci qui espère la résurrection des morts ;
et celui-ci qui espère la résurrection des morts ;
et
Thérèse qui se saigne et Jack qui éventre ;
les baudruches qui se flagellent et les triques qui se dilatent ;
les baudruches qui se flagellent et les triques qui se dilatent ;
ceux
dont les orbites sont tout de suite obstrués par la moindre protubérance de
viande
passant
à proximité ; et ceux qui déjà serrent
les fesses à la première menace d'un sourire ;
et
ceux qui ne pensent qu'à ça et ceux qui ne pensent à rien ;
ceux
qui voudraient bien rester enfouis à rêvasser entre leurs draps moisis ;
et ceux qui, refusant le sommeil, s'il le faut se crucifient pour tenir debout ;
et ceux qui, refusant le sommeil, s'il le faut se crucifient pour tenir debout ;
ceux
qui trouvent, même sans avoir jamais rien cherché,
comme
ceux qui cherchent, parfois sans jamais rien trouver ;
ceux
qui savent et ceux qui croient, et ceux qui croient savoir et ceux qui savent
qu'il faut croire ;
ceux
qui veulent tout, tout de suite,
et
ceux qui ne désirent jamais rien ;
...
et celui-ci et celui-là.
...
et celui-ci et celui-là.
Tous,
ceux qui sont toujours contents d'être content,
et ceux qui ne sont jamais heureux de pouvoir encore souffrir,
tout ceux qui veulent n'aimer que pour toujours,
et tout ceux qui croient qu'une seule nuit d'amour peut ne pas être pour toujours,
tous, ceux que la sagesse rend fous, et les fous qui enseignent leur sagesse,
ont-ils maintenant tous embarqués ?
et ceux qui ne sont jamais heureux de pouvoir encore souffrir,
tout ceux qui veulent n'aimer que pour toujours,
et tout ceux qui croient qu'une seule nuit d'amour peut ne pas être pour toujours,
tous, ceux que la sagesse rend fous, et les fous qui enseignent leur sagesse,
ont-ils maintenant tous embarqués ?
Sans
doute : enfin sur le quai ne se voient d'autres êtres animés que canettes de
bière
et
papiers gras, roulés, soulevés par le vent.
Et
le Capitaine de se tourner vers son tenant lieu qui, parce que la plus belle
entre toutes
parmi
toutes ses soeurs et belles-soeurs l'élue, se trouve être une lieutenant :
« Anne, je te prie, Anne, fais-moi savoir
quand nous pourrons lever l'ancre. »
Et
Anne, la sainte, et la plus belle possible des lieutenants possibles, de
répondre :
« Capitaine..., Hieronymus, mon beau
capitaine, j'ai beau scruter toute la Terre dans toutes ses directions
et jusqu'au plus lointain de tous ses
horizons, il n'est plus un être humain vivant qui y soit visible. »
Alors,
ancre levée et toutes les machines poussées, et laissant enfin la Terre toute vide,
la Nef de Tous
les Fous peut donner plein cap sur la tempête.
(3 mai 2002)
Ce style me parle, j'adore ! Merci de l'avoir partagé !
RépondreSupprimerHeureux que ce texte te plaise.
SupprimerBien sûr, s'il te prend l'envie de le "mettre en musique" un jour... ne te retiens pas !
;-)
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
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